L'Institut supérieur des arts multimédia de La Manouba et l'Institut français de Tunisie rendent un hommage posthume à Patrice Chéreau à travers la projection du long métrage La Reine Margot dans sa version restaurée, mercredi dernier, au Ciné Mad'Art Carthage. Disparu lundi 7 octobre 2013, le cinéaste Patrice Chéreau laisse derrière lui un lourd héritage artistique et une empreinte indélébile dans le cinéma français. Parmi toutes ses œuvres, La Reine Margot reste la plus connue. Lauréat du prix du jury au festival de Cannes 1994, La Reine Margot a également décroché cinq Césars dont celui de la meilleure actrice pour Isabelle Adjani. On est en 1572. La guerre de religion entre catholiques et protestants fait rage. Afin de réconcilier les Français, Catherine de Médicis décide de marier sa fille, la catholique Marguerite de Valois, dite «Margot» et incarnée par Isabelle Adjani, avec le protestant Henri de Navarre (le futur roi Henri IV), incarné par Daniel Auteuil. Au cours de la nuit de la Saint-Barthélémy, alors que le sang coule à flot dans les rues de Paris, la «reine Margot» sauve du massacre un jeune protestant appelé La Môle, incarné par Vincent Perez. Entre Margot la catholique et le protestant La Môle, naît une passion qui nourrira le film jusqu'au dénouement tragique. Dans le film, Chéreau s'est appuyé sur «le mythe» de la Reine Marguerite de Valois, né à partir du nouveau personnage confectionné et rebaptisé par Alexandre Dumas: celui d'une jeune princesse délurée multipliant les amants et leur portant malheur. Comme tous les mythes, celui-ci a une fonction «explicative», c'est-à-dire qu'il a servi à rendre raison à des phénomènes inexplicables sur un mode rationnel. Le mythe de la reine Margot servit à justifier l'exclusion des femmes du pouvoir, perpétrée pendant la Révolution française et maintenue par tous les régimes jusqu'en 1944. Ce mythe a servi, également, «à masquer comment de telles femmes avaient utilisé leur notoriété et leur savoir, pour agir, seules ou avec d'autres, pour écrire, pour modifier le rapport de forces entre les sexes au profit de leurs semblables.» («Marguerite de Valois, auteure et mécène parmi d'autres...»). Dès la première séquence, Chéreau nous plonge au cœur de l'histoire. Des voix nous parviennent, mêlées aux chants liturgiques de l'église : nous voilà introduits, d'emblée, au mariage de Marguerite. Un mariage arrangé, où les personnages s'en accommodent et semblent indifférents à leur sort. Les premières minutes s'apparentent ainsi à un grand ballet qui entraîne tous les corps vers le massacre d'un seul, le corps protestant, pendant la nuit de la Saint-Barthélémy. Chéreau le montre bien, à travers une mise en scène des plus étouffantes et macabres où le ciel (au sens propre comme au figuré) est étrangement absent. Les personnages errent et complotent en groupe, agglutinés les uns aux autres, dans les couloirs sombres du Louvre ou les ruelles de Paris. La violence est partout et sans limites. Mais cette violence, dans le film, n'est pas seulement collective : elle est le fruit d'un mal individuel, du vice que chacun se plaît à nourrir. Les rapports charnels de La Môle et Margot le montrent : la souffrance et le plaisir n'y font qu'un. Idem de la relation qui unit Charles IX à sa mère, ainsi que la relation malsaine et complexe des frères avec Margot. L'amour, la haine,le désir et le péché s'y entremêlent pour n'y former qu'un seul corps, hybride et monstrueux. Une magnifique mise en scène, un jeu d'acteurs beau et émouvant. Une histoire qui ne laisse pas indifférent.