Une manche de gagnée pour le gouvernement de Mehdi Jomâa. Mais sitôt l'effet d'annonce consommé, les Tunisiens sont plutôt enclins à juger sur le concret Communiquer, c'est pouvoir. Et le pouvoir dépend, dans une large mesure, de la communication. Le chef du gouvernement, M. Mehdi Jomâa, le sait bien. Et il semble s'y investir à fond. Le nouveau gouvernement joue adroitement sur le registre de la communication. Quitte à s'emmêler les pinceaux par moments. Mais bon, comme le dit si bien le fameux slogan de la pub, cent pour cent de ceux qui ont gagné ont tenté leur chance. Deux faits récents traduisent on ne peut mieux cette ambivalence communicationelle du gouvernement Jomâa. Avant d'être reçu au palais de l'Elysée, Mehdi Jomâa a dû faire le pied de grue dix minutes durant en raison du léger retard du président français. N'empêche, sur le perron du palais, Mehdi Jomâa était souriant, plein d'entrain. En tendant la main à François Hollande, il regardait judicieusement du côté des paparazzi, journalistes et reporters-photographes. Sur la photo, le président français était plutôt contrit et mal à l'aise. Cette fois, l'idéal est tunisien et la caricature française. La blogosphère tunisienne a réagi au quart de tour. Autres faits, autre posture. Toujours lors de sa visite en France, Mehdi Jomâa et son équipe ont soigneusement évité de parler des six hélicoptères de transport de troupes, Caracal, que la France a réussi à nous refiler pour la faramineuse somme de 300 millions d'euros, soit quelque 700 millions de dinars. En revanche, on a bien vu le chef du gouvernement dégustant une fricassée à Belleville. Là aussi, le silence n'est guère fortuit ou hasardeux. Il s'agit bien d'un mutisme délibéré dû à une certaine gêne. Et à peine rentré au bercail, Mehdi Jomâa a tenu une conférence de presse où il a fustigé ceux qui disent qu'il mendie l'aide extérieure à tour de bras. Visiblement très attentif aux propos de certains commentateurs, le chef du gouvernement ne veut pas qu'on colle à son cabinet ou à son exercice l'étiquette de gouvernement mendiant ou d'Etat mendiant. Et il réagit à son tour au quart de tour. Mal avisé sans nul doute. Ici et là, le dispositif de la communication est opérationnel, au centre de l'action gouvernementale. L'opinion est ciblée, tant par l'action volontariste que par l'omission intentionnelle. Il faut dire que les néo-détracteurs du gouvernement lui facilitent la tâche. Les partisans de la Troïka gouvernementale sortante ont changé le fusil d'épaule. Au début, ils soutenaient Jomâa et son cabinet. Sitôt s'est-il mis à exécuter l'esprit et la lettre de la feuille de route en vertu de laquelle il est investi, ils n'hésitent plus depuis à le clouer au pilori. Soit il perpétue d'une manière ou d'une autre la politique de la Troïka, soit il est carrément privé des moyens de sa politique. Certains de ses ministres sont particulièrement pris à partie, en particulier Amel Karboul et Ridha Sfar. Ils sont tout bonnement diabolisés. Et les députés constituants de la Troïka sortante demandent carrément leur tête via une motion de censure visant leur destitution. Au-delà des griefs de fond, le bras de fer profite étrangement aux ministres pris à partie. Amel Karboul, ministre du Tourisme, est devenue une véritable icône. Les attaques en règle dont elle fait l'objet sont non seulement contreproductives, mais la servent aussi côté image. C'est désormais l'icône de la jeune femme tunisienne émancipée, libre, soucieuse de l'intérêt supérieur du pays et faisant face aux assauts des fanatiques et fondamentalistes de tout poil. Ridha Sfar, ministre délégué à la Sécurité, est logé à la même enseigne. Ses réponses élégantes à ses détracteurs l'ont plutôt grandi aux yeux de l'opinion. Parce qu'on sait pertinemment qu'il est visé en raison de sa ferme détermination à reprendre en main les centaines de mosquées confisquées par les salafistes. Tout ce manège obéit à des logiques contradictoires. Côté gouvernement, cela dépasse la réactivité épidermique. Tout un dispositif communicationnel est en place. Il complète l'image de marque nouvelle que le gouvernement s'est appliqué à mettre en branle dès son investiture. Ainsi voit-on désormais des ministres mettant la main à l'ouvrage, se réunissant en tenue débraillée les dimanche et jours fériés et à l'écoute des pulsions profondes du citoyen lambda. Soit. Une manche de gagnée pour le gouvernement de Mehdi Jomâa. Mais sitôt l'effet d'annonce consommé, les Tunisiens sont plutôt enclins à juger sur le concret. A ce niveau, Mehdi Jomâa a du pain sur la planche. Il devra bien prendre son bâton de pèlerin et écouter les inquiétudes sourdes de la Tunisie profonde. Ce qui est une autre affaire.