Par Hmida BEN ROMDHANE Depuis la chute du dictateur Siyad Barre en Somalie en 1991, ce pays est dans un état d'anarchie totale. Aucune force politique ou tribale n'est parvenue à conquérir le pouvoir et à imposer le minimum d'ordre requis pour l'émergence des conditions minimales d'une vie sociale rudimentaire. L'état d'anarchie généralisée dure depuis près d'un quart de siècle en Somalie où toute une génération n'a aucune idée de ce que veut dire Etat, pouvoir central ou institutions officielles. Le problème de base, c'est que la dictature de Siyad Barre n'avait pas pu ou n'avait pas voulu doter le pays d'institutions sur les plans sécuritaire et administratif capable de tenir le pays sur ses pieds en cas de vacance du pouvoir. Le système par lequel Barre avait gouverné reposait sur deux piliers : le clientélisme et la corruption. Si bien que quand la dictature s'effondra, le pays se retrouva sans aucune force capable de maintenir l'ordre, ni institution en mesure de remplir le vide laissé par la disparition du dictateur. D'où l'anarchie qui dure depuis 23 ans et qui est devenue un « état normal » de la Somalie. Un état normal dans le sens où la majorité de la population somalienne ne connaît rien d'autre. La politique partage avec la physique, la chimie et d'autres sciences une règle de base : les mêmes causes produisent les mêmes effets. Tout comme la dictature de Siyad Barre, celle de Mouammar Kadhafi était tout aussi incapable de construire une administration et une armée institutionnelles en mesure de tenir le pays en cas de disparition du dictateur. L'effondrement généralisé de l'ordre social observé il y a 23 ans en Somalie est en train de se rééditer sous nos yeux en Libye depuis le 20 octobre 2011, date de la disparition de Kadhafi. Mais les Libyens et leurs voisins seraient heureux si la Libye était dans la même situation que la Somalie de 1991. Démunie de richesses certes, mais surtout démunie d'armements. Siyad Barre avait commis un crime envers son peuple : il ne l'a pas doté d'institutions de nature à sauver le pays de l'anarchie. Kadhafi a commis un double crime envers son peuple : non seulement il ne l'a pas doté d'institutions, mais il lui a légué le cadeau le plus empoisonné qu'on puisse imaginer : des centaines de milliers de tonnes d'armements dont la valeur se chiffre en dizaines, peut-être en centaines de milliards de dollars. L'absence d'une force protectrice de cette masse faramineuse d'armements a facilité son pillage total en un temps record. Du coup, des bandits, des criminels, des groupes religieux extrémistes, des terroristes, des partis politiques se trouvent armés jusqu'aux dents. Cette situation n'est pas seulement dangereuse pour la Libye où jusqu'à présent l'émergence d'une autorité centrale capable d'imposer la loi et l'ordre est du domaine de l'impossible, mais dangereuse aussi sur le plan régional où les pays voisins de la Libye tentent tant bien que mal de protéger leurs frontières. Aujourd'hui, la situation est explosive en Libye, et potentiellement explosive chez ses voisins. Parmi les voisins de la Libye, la Tunisie est la plus vulnérable. Elle court le risque d'infiltration de terroristes armés, impatients de se venger de l' « Etat impie ». Mais elle court le risque aussi de voir déclencher des batailles rangées entre les Libyens installés en Tunisie et dont le nombre, d'après le ministre de l'Intérieur, est quatre fois la population du Qatar. L'armée, les forces de sécurité intérieure et le ministère des Affaires étrangères se dépensent sans compter pour préserver autant que faire se peut la sécurité et les intérêts du pays. Mais ces efforts sont gravement contrecarrés par le président provisoire de la République, Moncef Marzouki, qui poursuit impunément son travail de sape des intérêts de la Tunisie dont il est, d'après la Constitution, le principal garant. Il a déjà mis en difficulté nos relations avec plusieurs pays et mis en danger nos intérêts en Suisse, en France, en Algérie, en Egypte, aux Emirats arabes unis et en Syrie. Avec son immixtion dans les affaires intérieures libyennes, avec sa prise de position pour une partie du conflit contre une autre, il met cette fois non seulement les intérêts du pays en danger, mais livre en pâture la vie de milliers de citoyens tunisiens en Libye à la vengeance de certaines forces et milices armées, écœurées par l'ingérence de Marzouki dans leurs affaires. Le président provisoire de la République a non seulement pris position, mais il a choisi le mauvais côté pour se positionner. Il a téléphoné au président du Congrès national général (CNG) pour l'assurer du soutien de la Tunisie aux « instances légitimes libyennes ». Ici une explication s'impose. Ce qu'il faut savoir, c'est que, initialement et d'après les résultats des élections, le CNG comportait une majorité de démocrates et une minorité d'islamistes. Petit à petit, le rapport de force s'est inversé non pas à la suite de nouvelles élections que le peuple libyen attend toujours, mais par la force des armes. En d'autres termes, au fil des semaines et des mois, les milices islamistes extrémistes ont fini par renverser le rapport de force au sein du Congrès national général en leur faveur manu militari. Sans parler bien sûr de l'échéance non respectée par cette institution qui a dû plier bagage en février dernier. Voici donc le genre d' « institutions légitimes » que défend le président provisoire. On ne lui demande pas de s'aligner sur les forces qui s'opposent aux terroristes, aux takfiris et aux égorgeurs d'innocents au nom d'Allah. S'il ne sait pas faire le bon choix, il doit apprendre à ne pas choisir. C'est très simple, il suffit de garder le silence.