Opérant dans un vide juridique flagrant, « Takafful », ou l'assurance islamique pourrait-elle contribuer à l'amélioration du taux de pénétration du secteur dans l'économie ? Pourrait-elle apporter un plus pour la relance de l'économie ? Plusieurs experts en finance plaident en faveur du développement de la finance islamique en Tunisie avec un argument de taille, explicité par les intervenants, à la rencontre organisée par la Jeune Chambre internationale d'Ezzahra, autour de la thématique « Takafful ». Pour les spécialistes, principalement juristes, experts financiers et experts-comptables, la finance islamique constitue une alternative crédible ou, du moins, un complément nécessaire à la finance conventionnelle, notamment depuis la crise financière internationale de 2008/2009. Et à les écouter, l'assurance islamique en est une filière fort intéressante, voire prometteuse, pour la Tunisie. Pour revenir au concept, encore flou même pour les agents d'assurances, Takafful est basé sur les notions d'entraide et de solidarité entre un groupe de participants pour faire face à divers risques. Cette forme d'assurance se concrétise à travers la constitution d'un «Fonds Takafful» regroupant les contributions versées par les participants au titre de « Mouwasset » ou consolation. Ce fonds servira à compenser les pertes et dommages subis par les participants conformément aux conditions stipulées dans le contrat d'assurance Takafful. Partant, les experts précisent que le rôle d'une assurance islamique est de veiller à la bonne gestion du fonds selon les principes de la finance islamique qui est basée sur l'interdiction des trois éléments. Il s'agit d'abord d'Al Gharar, soit toute forme de contrat disproportionnée et qui constitue une perte injuste en faveur d'une partie aux dépens de l'autre est classée comme «Gharar». Ensuite, Al Maysir, soit la perte totale de la prime d'assurance en cas de non-réalisation du risque. Enfin, Al Riba, soit investir le fonds de l'assurance dans les moyens de financement (obligations, actions...) générant des intérêts. La rencontre a été rythmée par des interventions dont la finalité est de permettre au parterre présent, notamment les chercheurs et agents d'assurances, de comprendre la notion d'assurance Takafful. Ce qu'on pourrait retenir de cette rencontre, c'est en premier lieu l'absence de cadre juridique organisant l'activité « Takafful». Actuellement, cette nouvelle forme d'assurance opère selon le Code des assurances, seule législation disponible, en attendant l'examen des projets de loi par l'Assemblée nationale constituante. Des projets qui, pour certains, sont encore au stade de l'élaboration au sein de commissions gouvernementales. Or, un cadre juridique est aujourd'hui plus que nécessaire à l'absorption d'un nouveau modèle d'assurance comme celui de Takafful pour permettre le passage d'un produit licite à un produit financier. Car « Takafful » voudrait être une alternative à l'assurance conventionnelle dont certains de leurs revenus sont les taux d'intérêt (riba) et la spéculation (gharar) prohibés par la charia. Cela dit, l'assurance islamique a plusieurs défis à relever. Il s'agit d'abord du champ d'investissement des fonds — qui doit être licite —, du manque de cadres qualifiés maîtrisant à la fois l'aspect technique et les principes islamiques, sans compter la nouveauté du produit Takafful qui mérite une campagne promotionnelle. D'un autre côté, ce produit a besoin de la présence d'un partenaire de réassurance (Re-Takafful) dont le rôle est d'assurer le morcellement du risque au niveau national et international. «L'existence d'un tel organe est rare et son développement ne sera encouragé que si le modèle d'assurance Takafful connaît un essor important à travers le monde », soulignent les experts. Un scepticisme persistant En dépit des exposés vantant les mérites de l'assurance islamique, les débats ont mis en exergue un certain scepticisme persistant, notamment chez les experts et les assureurs conventionnels dans la mesure où la Tunisie a toujours connu l'assurance conventionnelle qui ne peut pas, par conséquent, être évincée du jour au lendemain et remplacée par l'assurance Takafful. Sans compter que certains agents d'assurances n'arrivent pas à saisir la différence entre l'assurance conventionnelle et l'assurance Takafful. Pour certains d'entres eux, il n'y a aucune différence au niveau des produits de l'assurance vendus, seule l'appellation change, pour drainer une catégorie d'assurés plus spécifiques. Les réponses se voulaient rassurantes, certes. Selon les intervenants, il est nécessaire de proposer de nouvelles approches non pas en vue de substituer l'assurance Takafful à l'assurance conventionnelle mais plutôt d'encourager la cohabitation des deux types de services d'assurances, dans le but d'enrichir l'environnement légal et économique. Ce qui permettra de renforcer la concurrence pour avoir des répercussions positives en termes de qualité et de coût des prestations au profit du client », a indiqué Mohamed Chalghoum, avocat près la Cour de cassation. L'assurance Takafful s'impose, aujourd'hui, comme l'un des sujets d'actualité qui fait polémique puisque le secteur de l'assurance en Tunisie connaît déjà de grands changements, avec la création de deux nouvelles sociétés d'assurance islamique, en l'occurrence «Zitouna Takafful» et «Al Amana Takafful». Mais en l'absence d'un cadre juridique clair, organisant l'activité, le flou persiste. Néanmoins, plusieurs experts plaident en faveur de ce type d'activités et de la finance islamique en général. Certains considèrent même grave le fait que la Tunisie tourne le dos à cette activité.