Policiers-journalistes, deux corps de métier quasi antagoniques, se regardant plus souvent en chiens de faïence. On ne les a jamais vus réunis autour de la même table. Il y a quelques jours, ils se sont mis en contact, trois jours durant, planchant sur le côté aussi bien relationnel que professionnel et l'interaction des rôles sur le théâtre des événements. Des journées de dialogue ont été dernièrement organisées à l'initiative du Centre de Tunis pour la liberté de la presse (Ctlp) et Reporters sans frontières (RSF), dans le but de parvenir à «une réconciliation entre journalistes et forces de l'ordre». Cela signifie qu'il y a encore de la glace à faire fondre. Chacun d'eux doit se rendre compte que nul ne saurait avancer sans identifier les vrais freins les empêchant d'agir autrement. Autant dire, reculer pour mieux sauter, au-delà de leurs sensibilités professionnelles et la crise de confiance qui a longtemps marqué leurs relations. Ce sont là entre autres critiques révélées par les participants à la formation. En fait, les mots des uns et des autres n'ont pas fini de donner la mesure des maux d'un paysage aussi désolant, d'une telle rivalité bien ancrée dans le passé entretenue par les dictatures du passé. Force est de constater que, juste après la révolution, un certain vent de changement a soufflé sur les deux corps de métier. Et tant de fois on a remarqué le recours à la carotte et au bâton dans la gestion des grandes manifestations, au cours desquelles les deux corps se sont retrouvés face à face. Lors de la formation, ils se sont aussi retrouvés côte à côte. Seulement, cette fois-ci, le dialogue interactif a fait la différence. Toujours est-il que la communication l'a emporté sur le silence et le repli sur soi. Résultat : le débat était alors franc et ouvert. Chacun d'eux a cherché à donner une nouvelle image de lui-même. Au fur et à mesure, les positions ont convergé et tout malentendu a été écarté. A force de dialoguer et d'approfondir des réflexions communes, les journalistes et les agents de sécurité présents ont tenu à recentrer le débat. Si bien qu'ils sont arrivés à retracer les contours d'avenir de leur profession. Idem pour leur action sur le terrain et le rôle qui leur incombe dans la réalisation des objectifs de la révolution, à savoir les droits de l'homme et la liberté d'expression. Deux pièces maîtresses de la démocratie telle que souhaitée par la nouvelle Tunisie. Mais, comment faire pour réconcilier ces deux frères ennemis, d'autant plus qu'ils partagent la vérité des faits ? A plus d'un titre, les propositions formulées et reformulées par les uns et les autres ont fini par trouver un terrain d'entente. Et c'était là, hélas, le maillon manquant de la chaîne des relations existantes avant la révolution. Juste après, de multiples initiatives ont plaidé pour une police républicaine qui soit au service de la nation et non au service des caprices du gouvernant en place. Trois ans plus tard, on n'a rien vu venir. Sauf quelques officieuses déclarations révélant une certaine cacophonie au ministère de l'Intérieur. En effet, M. Lotfi Ben Jeddou n'a pas hésité, il y a quelques semaines, à affirmer la nécessité d'une stratégie de communication interactive entre les policiers et les journalistes. Surtout dans ce contexte délicat où la nébuleuse terroriste continue de sévir tous azimuts, à travers nos frontières si poreuses et incontrôlables. Un des agents participants, le lieutenant Oussama Mabrouk de la garde nationale, chargé de la coopération internationale et des relations publiques, a relevé que son département est soucieux de prendre part à de pareilles sessions de formation, de manière à améliorer les relations avec les journalistes. « Nous avons déjà bénéficié d'autant de formations en matière de droits de l'Homme, de liberté d'expression et de protection des journalistes, et ce, dans le cadre du projet de communication avec les médias initié par notre ministère en collaboration avec l'Unesco. L'essentiel est de faire mieux comprendre le rôle que chacun doit remplir dans l'exercice de ses fonctions», a-t-il indiqué. L'objectif consiste à entretenir de bonnes relations de respect mutuel entre les deux corps. Pour ce faire, les journées de dialogue ont débouché sur une série de recommandations visant à traduire sur le terrain les significations de la réconciliation, au sens vrai du terme. Il s'agit, pour les deux corps, de faire preuve d'engagement professionnel et moral et d'agir dans le cadre de la loi organisant les deux secteurs. Ainsi, les policiers devraient cesser de porter atteinte à la dignité et à l'intégrité physique des journalistes, tandis que ces derniers sont appelés à éviter de jouer la provocation lors de leur couverture médiatique. Bref, tous deux devraient se sentir responsables face à la société, pour l'édification de la deuxième république.