Par Foued ALLANI — Et ce chant! Il est prêt? dit M. Jeb Minnek Rabbi en s'adressant à son fournisseur. — Encore quelques jours, répond le fournisseur. Vous savez, nous avons trop de commandes, surtout ces derniers temps. — Oui, mais cela fait des années que j'attends, moi. De longues années pour ce chant et pour pouvoir l'exploiter. Vous savez, cela me tient à cœur. Pour moi, c'est une question de vie ou de mort. — O.K. vous avez raison, mais un chant de qualité, cela ne court pas les rues encore moins les champs. Il faut avoir de la patience Si Jeb Minnek Rabbi. — De la patience, de la patience… Comment voulez-vous que j'aie encore de la patience après de longues années d'attente pour ce petit bout de chant. Vous croyez que la cause a encore le temps pour attendre indéfiniment un chant qui ne vient pas? — Oh la la! Ne poussez pas trop Si Jeb Minnek Rabbi! Vous êtes trop pressé, cela se voit, mais de là à me réclamer un chant avec cette insistance, c'est un peu déplacé de votre part. Ecoutez, un chant, ce n'est pas une pizza que l'on prépare en deux minutes. — Qui vous dit qu'une pizza prend deux minutes pour être prête? Tu oublies la pâte à préparer? C'est quoi une pâte? C'est du blé que l'on sème, qui pousse, qui mûrit, que l'on récolte, que l'on moud… Et la sauce? C'est quoi la sauce? N'est-ce pas la tomate que l'on sème et patati patata. Et le thon?… — Y a pas de patate dans une pizza Si Jeb Minnek Rabbi. — … Et puis, j'aime pas le déracinement, moi. Je suis un homme de principes moi. Pizza? Pourquoi ne pas prendre les beignets comme exemple, nos bons beignets chauds et parfumés. — J'aime pas les beignets moi!… c'est plein de friture et puis… les bambalonis, peut-être? — Encore une invention italienne! Vous ne pouvez pas rester fidèle à votre identité ou quoi? Pizza… bambaloni… au lieu de me parler d'un bon plat de spaghettis de chez nous ? — Mais les spaghettis, c'est italien aussi… Et puis, que vient faire ici l'identité? — Ah bon? La bouffe, ça ne fait pas partie de l'identité pour vous? Vous avez le sens patriotique au plus bas, mon cher. D'ailleurs, votre chant, vous pouvez le garder pour vous. J'aime pas les déracinés moi! — Papa, papa… tu veux acheter un champ… pourquoi faire? demande Aajjourh Yabra, le fils de M. Jab Minnek Rabbi. — C'est parce qu'il n'y a pas mieux que le son de qualité pour donner puissance à une cause. Et la nôtre a vraiment besoin de ça. — Du son pour devenir puissant? Du jamais vu ! rétorque Farda oulqat okhtha, la femme de Si Jab minnek rabbi et mère de Aajjourh yabra. Pour devenir puissant, il faut une bonne alimentation saine et équilibrée et surtout de l'exercice. Pour devenir puissant, il faut agir, il faut bien exploiter ses atouts, faire travailler sa cervelle, être pragmatique, avoir du recul et une vision bien claire… - O.K., mais le chant, cela donne du courage… Il nous faut du courage. C'est le courage qui nous manque. - La raison passe avant le courage, avait dit Al Moutanabbi. - T'as raison ma belle… mais le courage de combattre, de lutter, de dire non, de se sacrifier, cela nous manque… et y a pas de raison… Puisque la raison du plus fort est toujours la meilleure, il faut donc être fort et pour devenir fort, il faut être courageux. - Tu me rappelles ce cow- boy dans un western spaghetti qui disait : «Quand je dois discuter, je tire d'abord, car face à un cadavre on a toujours raison»… Enfin, je ne vois pas comment l'on peut devenir courageux avec un chant? - Mais de quoi vous parlez? Je n'ai rien compris, moi, courage, cadavre, devenir fort, tout cela pour un lopin de terre… un champ? proteste Aajjourh yabra. - C'est à propos de la cause qu'on cause, fiston… notre cause à tous, la Palestine… et ce n'est pas un lopin de terre, c'est un pays. - La Palestine?… C'est quoi la Palestine?… C'est où? - Comment cela? Tu ne connais pas la Palestine? C'est le pays arabe qui a été colonisé par les sionistes, pardi! - Ah! tu veux dire l'Irak? Bien sûr que je connais... - Non, je parle de la Palestine, là où les enfants affrontent les chars à coups de pierre... tu te rappelles... Ce sont nos frères avec leur koufiya à qui on a confisqué leurs terres. - Ah, tu parles de Gaza... j'ai compris maintenant. - Mais non!... Gaza n'est qu'une partie de la Palestine. Attention, la partie ne veut pas dire le tout... Gaza c'est trois fois rien par rapport à la Palestine. - Pourtant, on ne parle que de Gaza... c'est bizarre! - Maintenant, écoute-moi... si ton cousin te prend ton ballon, qu'est-ce que tu fais? - Je lui balance un coup de poing à la figure et je reprends mon ballon. - Et si ton cousin est plus fort que toi? - Je m'en vais me plaindre auprès de mon oncle. - Et si ton oncle fait semblant de n'avoir rien vu et laisse son fils jouer tout seul avec ton ballon et même te prendre toutes tes affaires? - Alors, c'est toi qui dois résoudre ce problème et donner un coup de poing à mon oncle... ou même un coup de pied. Tu ne vas pas laisser ce vilain garnement me prendre toutes mes affaires et rester toi comme ça à regarder. - Il y a ton grand-père... C'est lui qui servira d'arbitre. - Mais, papa, cela fait des années que grand-père est mort! — … !