Consommer plus quand on est censé manger moins, c'est le paradoxe de la relation qu'entretiennent les Tunisiens avec la nourriture pendant ce mois de jeûne. Au Marché central de Tunis, il est 14h00 et les clients se bousculent. Impossible d'entrer dans l'aire dédiée aux poissons tellement elle est bondée. Il faut marcher vite car les gens sont pressés. Les vendeurs de fromage, de viande, de fruits et légumes sont assaillis par les clients. Noômen vend des épices et des olives, il est moins sollicité, mais affirme, sourire aux lèvres, que son chiffre d'affaires augmente considérablement les premières semaines de Ramadan. Et tous les commerçants en profitent, puisque les Tunisiens consomment entre 25% et 30% de plus pendant cette période, selon l'Institut national de la consommation. Pourtant, les besoins sont les mêmes. On remarque des chiffres éloquents. Selon l'INC, les Tunisiens consomment deux fois plus d'œufs pendant Ramadan et plus de deux fois de yaourts. Les protéines sont mises à l'honneur, puisque la consommation de viande bovine augmente de 130%, celle de mouton connaît une hausse de 47% et surtout celle de conserves de thon, d'anchois ou de morue grimpe à plus de 500%. Une heure plus tard, à quelques kilomètres du centre-ville de Tunis, à l'hypermarché Carrefour de La Marsa, les clients sont nombreux, mais ce n'est pas encore bondé. A l'entrée, les fondamentaux du dîner ramadanesque sont entassés sur des palettes. Des œufs, du fromage, de la semoule, de la chorba ou des sodas: les Tunisiens ne manquent de rien. Les clients poussent un à deux chariots par famille. Un coup d'œil sur leurs courses et on retrouve les mêmes produits : poulets, œufs, fromage râpé, eau, malsouka... Les plats traditionnels comme les briks ou les tajines réalisés à partir de ces ingrédients sont incontournables. Manger plus et manger plus cher Dans un Monoprix de Tunis, en début d'après-midi, les clients sont encore raisonnables. Les gros caddies sont encore rares. Nabila tire un petit chariot dans lequel elle a entreposé une laitue, quelques tomates et une bouteille de soda. Elle assure ne pas consommer plus que d'habitude ce mois-ci, pour des raisons financières. «Avant la révolution, on se faisait plaisir pendant Ramadan, maintenant on fait attention ; on mange les restes. La vie est devenue trop chère». Certains produits, que beaucoup de Tunisiens s'autorisent particulièrement pendant ce mois saint, sont aujourd'hui trop chers. Mohamed consomme d'habitude plus de poulet, mais pendant Ramadan, il achète du bœuf et du mouton. «Même si la viande coûte cher, Ramadan ne dure qu'un mois, alors on se permet d'en manger plus que d'habitude». Se faire plaisir, c'est le mot d'ordre du Tunisien pendant ce mois de jeûne. Pâtisseries, plats traditionnels... La journée est assez longue pour cultiver ses envies culinaires. C'est ainsi que l'on comprend la baisse significative de la consommation de pain simple (-37% selon l'INC), alors que celle des pains spéciaux augmente. Pains briochés, aux olives, aux céréales; les boulangeries sont assaillies par les clients tout l'après-midi. Hayet est une de ces clientes gourmandes. Elle avoue avoir du mal à résister à la tentation de la nourriture. «J'ai vu des abricots tout à l'heure, je n'en ai pas encore pris, mais je vais retourner en acheter», affirme la quarantenaire en souriant. Un paquet de malsouka à la main, Sarra tire son petit chariot dans le rayon des yaourts. La jeune fille préfère les pâtisseries aux fruits, qu'elle déguste en soirée. Elle parle avec enthousiasme des spécialités sucrées traditionnelles, comme les zlebia ou les mkhareq, mais aussi de l'odeur du pain qui sort du four... Ce soir, Nabila, Mohamed, Hayet et Sarra vont consommer des produits qu'ils n'ont pas l'habitude d'acheter. Plus de dépenses, moins de bonnes choses pour la santé ; mais des produits qui font rêver la journée et qui ravissent l'estomac le soir.