Aujourd'hui, lorsque vous faites un tour du côté des boucheries, des poissonneries et des marchands de viandes de volailles, vous constatez sans peine que leurs prix sont de plus en plus inabordables pour les familles moyennes et modestes. Au lendemain de l'Aïd el kébir, la plupart des bouchers ont majoré leur prix de plus de 3 dinars d'un seul coup. En effet, le kilo de viande de mouton, de chèvre ou de bœuf qui était vendu parfois à moins de 10 dinars, revient depuis plusieurs semaines à 14 dinars. Le kilo de foie est quant à lui proposé partout à 20 dinars. C'est comme si la hausse était décidée de concert par tous ces détaillants. Chez les poissonniers, les tarifs -déjà relativement élevés pour les bourses moyennes- n'ont presque pas baissé depuis plusieurs mois. Le mauvais temps aidant, ces prix ont même tendance à grimper un peu plus ces derniers jours. Les marchands de viandes blanches ne font eux non plus aucune concession depuis des années déjà. La forte demande en viande de volaille les incite tout naturellement à ne pas consentir de baisse dans leurs prix. Ils majoreraient bien leurs tarifs si cela ne tenait qu'à eux. En définitive, tous les prix pratiqués actuellement dans les marchés locaux de la viande ne sont pas pour encourager la consommation de cette denrée de plus en plus chère. Si l'envolée continue, il faudra peut-être penser à observer une diète d'où les viandes inabordables sont exclues. On pourrait par exemple se mettre au régime végétarien dans lequel les protéines indispensables au corps proviendraient des céréales et des légumineuses.
Frustration et nouvelles habitudes culinaires Grand amateur de viandes rouges, le Tunisien s'est retrouvé forcé, depuis plus de 20 ans, de renoncer en partie à cette prédilection pour consommer presque autant de viandes blanches. C'est que le lien est très fort entre la consommation de viande et le revenu du citoyen. Il est vrai que durant les trois dernières décennies le Tunisien a consommé plus de viande ; il est effectivement passé entre 1980 et les années 2000 de 9,5 à 12 kilogrammes par an; cependant l'origine de la viande consommée en grande quantité est-elle la même ? Il s'est opéré, pendant la période évoquée, une petite révolution dans les habitudes culinaires tunisiennes : le poulet et à un degré légèrement moindre, le dindon industriels fournissent désormais une grande partie de la viande que nous mangeons. Certaines variétés de poisson autrefois fréquemment préparées dans nos cuisines tendent à disparaître du menu de plusieurs familles. Même les produits de l'aquaculture sont de moins en moins accessibles aujourd'hui et la consommation du poisson en Tunisie, pays aux 1300 kilomètres de côtes poissonneuses, reste encore faible (9 kilos par personne et par an).
La solution chez les gargotiers Les nutritionnistes recommandent toujours de revenir à notre diète méditerranéenne traditionnelle, saine et équilibrée qui autorise la viande rouge 3 fois par mois, les poissons, la volaille, les œufs et le laitage deux fois dans la semaine et l'huile d'olive, les fruits, les légumes, le pain les pâtes, les céréales tous les jours. Mais même un tel régime ne peut convenir au budget de l'immense majorité des Tunisiens. Parce que tout simplement cela revient à dire qu'il faut consommer de la viande pratiquement tous les jours. Or, au prix où sont vendues les viandes (toutes origines confondues), cela risque d'alourdir les dépenses consacrées à l'alimentation lesquelles représentent déjà un peu moins de la moitié du budget familial. Sans compter que les produits susceptibles de remplacer les protéines contenues dans la viande (œufs, lait, fromage, yaourt) ne voient quasiment jamais leurs prix baisser. On comprend alors pourquoi le « lablabi » (préparation à base de pois chiches) et la soupe aux haricots blancs, aux lentilles ou aux fèves ont la cote en Tunisie. Dans les gargotes et les restaurants populaires, c'est encore abordable. Pourvu que ça dure !
Les bouchers accusent les spéculateurs Pour comprendre un tant soit peu la hausse fulgurante du prix de la viande bovine et ovine, nous nous sommes adressés à un boucher d'El Ouardia qui vend le kilo à 15 dinars malgré les tarifs règlementaires relativement plus bas affichés à côté de sa marchandise : « Votre lecteur doit savoir que nous pratiquons un prix très raisonnable par rapport à d'autres bouchers de quartier qui proposent le kilo à 17 et à 18 dinars. Nous sommes nous mêmes victimes des surenchères qui ont lieu dans les abattoirs. Certains « gros » clients de ces espaces achètent les têtes de bétail vivant à des prix exorbitants que nous ne pouvons supporter. La différence entre notre prix et le leur se chiffre en plusieurs centaines de dinars par tête. Je ne vends pas la viande congelée comme d'autres, mais une viande locale de qualité. Même mes clients consentent à payer la différence d'avec les prix affichés parce qu'ils savent que je ne les escroque pas comme ceux qui vendent beaucoup moins cher qu'ici mais utilisent mille arnaques pour rentrer dans leurs frais. Je vous invite à venir voir comment ça se passe dans les abattoirs et là, vous comprendrez qu'aucun boucher qui vend de la bonne viande ne peut réaliser le moindre bénéfice s'il pratique les prix officiels. Je sais que les clients de condition moyenne ou modeste en pâtissent ; c'est pourquoi ceux qui achetaient chez nous pour 2 ou à 3 dinars préfèrent manger du poulet. Que peut leur rapporter une aussi maigre somme comme viande de bœuf ou de mouton. Avec cela, je vends même pour un dinar aux clients pauvres. Nous avons tout expliqué aux services compétents et à notre chambre syndicale mais personne ne semble mesurer la gravité de la situation tant pour le citoyen que pour nous autres détaillants. Le pire à craindre, c'est que les prix montent encore les semaines et les mois à venir. Cela profitera sûrement aux marchands de volaille. Mais ces derniers majoreront à leur tour les tarifs en voyant la demande augmenter. » Badreddine BEN HENDA
*** *Entre 1997 et 2007 la production de viandes rouges en Tunisie est passée de 92.000 tonnes à 120,200 tonnes.
*53 % de la viande consommée dans le pays sont produits dans le Nord, 32 % dans le Centre et 15 % dans le Sud.
*La consommation de viande rouge en 2007 était de 123,500 tonnes.
*Le Tunisien consomme chaque année 12 kilos de viande et 9 kilos de poissons.
*Il existe en Tunisie 210 abattoirs répartis comme suit entre les régions : 81 au Nord (39%), 94 dans le Centre (43 %) et 35 au Sud (18 %).
*La composition moyenne d'un bœuf abattu se présente ainsi : 33 % de viandes pour grillades et rôtis, 40 % de viande à hacher, à braiser ou servant au pot-au-feu et 27 % de déchets (os et graisses).