Le chanteur tunisien Mohamed Jebali a partagé, jeudi, la scène du festival de Carthage avec l'artiste libanaise Carole Samaha, dans un théâtre romain plutôt clairsemé... Il s'est produit durant la première partie de la soirée... Bizarre de la part d'un artiste qui s'est échiné, dans la plupart de ses propos, et notamment dans son one man show, Baladi Al Thani (mon second pays), à tourner en dérision les chanteurs libanais et égyptiens qui, malgré la médiocrité de leur voix et de leur répertoire, sont très privilégiés sous nos cieux et passent même avant les Tunisiens dans la programmation des festivals. Il semble qu'aux yeux de Jebali, la scène de Carthage vaut bien qu'on fasse une entorse à ses credo et ses principes. Mais passons. C'est devant quelque 3.000 spectateurs, donc beaucoup de rangées de chaises vides et de gradins dégarnis, que les deux protagonistes se sont produits. Il est vrai que les prix affichés pour la grande majorité des spectacles sont trop chers pour la bourse très affectée du Tunisien moyen. Et ce soir-là, il fallait débourser 35 D pour une place dans les gradins et 80 D côté chaises. Des prix plus étudiés auraient permis de jouer sur la quantité et de drainer davantage de spectateurs. Début de partie : Jebali chanteur ou imitateur ? C'est en compagnie d'un orchestre composé de plus d'une vingtaine d'instrumentistes dirigé par Abdelbasset Belgaeid, que Mohamed Jebali s'est produit en interprétant de nouvelles et d'anciennes chansons que, pour la plupart, il a écrites et composées : Ismek Mahleh, Béhi, Yezini, Ya Kmar, Khalini bjanbek, façon pot pourri, et autres, entre romances et chansons rythmées légères. Le public a même eu droit à une chanson humoristique vieille de 50 ans, mais si actuelle, sur la cherté de la vie (Wahla hadhi wahla) et dont l'auteur-compositeur n'est autre que Mohamed Jarrari. Malgré la sono défaillante, trop forte, trop bruyante et exécrable — on se serait cru dans une fête de mariage —, Jebali réussit grâce à des airs au tempo rapide à mettre de l'ambiance et à faire danser quelques grappes de spectateurs sur les gradins. Mais, surprise, l'interprète arrête la musique, ôte sa veste et se met à jouer, vingt minutes durant, un long extrait de son one man show Baladi Al Thani. Ce qui était mal à propos et inattendu. Le chanteur voulait visiblement faire étalage de ses capacités d'imitation en incarnant plusieurs artistes, de grosses pointures, pour la plupart disparus : Ali Riahi, Wadi Essafi, Férid Latrache qui, selon les nouveaux pontes du show-biz «ne se vendent plus». Puis, s'accompagnant d'une sorte d'instrument à percussion électronique, il interpréta, mi-figue mi-raisin, toujours dans un esprit de dérision, des airs indien, turc, soudanais, El Mambo. Il imita, non sans ressentiment, le chanteur syrien Georges Wassouf, le grand Habouba : une manière de nous dire que «seul le mezoued marche et fait vendre la musique». Jebali finit par entonner Illi ihib ecchar libladi (celui qui veut du mal à mon pays) et, au bout de 1h45mn de spectacle, il finit par quitter la scène pour faire place à Carole Samaha. Cependant, fait-elle partie du lot des pseudo-artistes médiocres que critique le chanteur ? Fait-elle partie de ces chanteuses d'Orient dont les voix sont rendues performantes grâce aux effets techniques et autres trucages effectués dans les studios d'enregistrement, c'est ce que nous verrons dans la seconde partie du spectacle entamée à 11h45. Fin de partie : Carole, mission accomplie Bien que s'étant produite à plusieurs reprises sous nos cieux, Carole Samaha est montée, ce soir-là, pour la première fois sur la scène du théâtre romain de Carthage, accompagnée d'un orchestre moderne (une profusion de synthé, orgue, batterie et guitare), dirigé par Mahmoud Abid. Après avoir attaqué son concert avec une belle mélodie de son dernier album Ihssass, l'artiste avoua son désir ardent de se produire à Carthage malgré la conjoncture difficile, aussi bien en Tunisie, qui a connu de douloureux événements dus au terrorisme, que dans le reste du monde arabe : «Et je remercie, poursuit-elle, le festival de Carthage pour sa détermination à mener à terme, coûte que coûte, cette manifestation, car il ne faut pas baisser les bras, l'art étant un message d'amour et de paix». Ambassadrice de bonnes intentions, elle a dédié aux enfants de Gaza, qui meurent sous les bombes du terrorisme, une chanson des Frères Rahabani : Oghniatou el tifl el arabi (la chanson de l'enfant arabe), qu'elle interpréta avec une grande justesse. Puis, changement d'ambiance : les tubes et les succès défilent, entre romances et chansons rythmées, ghalia alaya, Habib Albi, Houwa, Ana ichtatilek, Ali ya Ali, Ha Khounek , wa taâwidt et autres. Le public, pour la plupart composé de fans, connaît par cœur, comme à son habitude, tous les airs, les chantant à tue-tête, empêchant par là la chanteuse de s'exprimer. Elle-même est tombée dans le piège en tendant parfois le micro aux spectateurs. Admirative, elle déclara : «Je vous applaudis ou vous m'applaudissez ? Nulle part ailleurs il n'existe un public semblable au public tunisien, il est unique et je me suis toujours souvenue des concerts que j'ai donnés ici, quelle ambiance !». Carole Samaha réussit l'interprétation des mélodies douces. Le timbre suave de sa voix s'y prête. A preuve, les tubes qui ont fait sa réussite et qu'elle a savamment interprétés, avec beaucoup de sensibilité : Italaâ fiye, écrite et composée par Marwan Khoury, qui lui en a concocté plusieurs autres, et Wahshani Baladi, musiquée par Mohamed Abdelwaheb d'après des paroles de Mohamed Jomaâ. Très attendues, ces deux compositions aux belles paroles ont fait vibrer le public acquis et conquis. Cependant, la chanteuse convainc beaucoup moins quand elle force sur les aigus. Mouch maâoul, «une chanson positive pleine d'énergie et d'espoir, qui vous pousse à lutter, à vaincre et à dépasser les difficultés et les problèmes», explique l'artiste. Les inconditionnels apprécient et l'ambiance sur les gradins est folle : ça chante et ça danse avec une grande énergie. Enfin, après une prestation de deux heures, la chanteuse libanaise clôt son tour de chant par une chanson tournée vers le futur, interrogeant l'avenir des nouvelles générations : Sabah El Khair thaleth alef, (Bonjour l'an 3000). Le public satisfait applaudit. Carole Samaha ayant, aux rythmes de tous ses airs, égrené une myriade de sentiments humains, entre amour, passion, volupté, déception, espoir, nostalgie et autres, sous-tendus par un message de paix et d'amitié contre toutes les formes d'agression et d'injustice et pour toutes les causes justes de ce monde, dont celle palestinienne en premier lieu. Mission accomplie donc !