Tout de noir vêtu, le corps aminci et le visage stressé, Mohamed Jebali est face à un défi immense : réussira-t-il son premier one man show? Parviendra-t-il à accrocher une nouvelle perle au collier déjà chargé qu'il porte depuis plus de deux décennies, lui qui chante, qui joue la comédie, qui compose ses musiques, qui écrit même ses textes ? Baladi teni est le titre de ce spectacle que nous avons eu le plaisir de voir en avant –première à La Marsa. Dès l'arrivée dans cette salle, on remarque la présence d'un grand nombre de caméras de télévision mais aussi des visages connus du milieu artistique. Mohamed Jebali a toujours misé sur les médias. La scène est relativement dépouillée : un fond d'écran de deux mètres sur deux au centre, un luth, un mini-orgue, une chaise à droite, et, à gauche, une table et une chaise en bois, les deux de couleur noire. Spectacle en noir et blanc L'entrée de l'artiste se fait avec trois quarts d'heure de retard. Les premières images sont celles d'un chanteur-star du show-biz venu d'ailleurs (on comprend qu'il vient du Moyen-Orient), la veste clinquante et le verbe banal. Il salue bien bas et déclare son attachement « infini » pour « son deuxième pays d'amour» (Baladi teni !). Jebali fait exprès de ridiculiser cet «invité » qui chante sans chanter. Les personnages défilent. L'artiste n'hésite pas à passer tout le monde à la moulinette : cela va du jeune chanteur timide, à la chanteuse qui n'a rien dans la gorge mais tout dans les hanches, jusqu'au directeur de maison de disque qui ne s'intéresse pas vraiment aux jeunes talents mais à la dégaine de la jeune fille et à sa couleur de cheveux. Quant à sa réponse aux vrais prodiges du chant, elle est toute faite : « Ça ne se vend pas ! » ; il apprécie en revanche les rythmes du mezoued et va même jusqu'à se laisser entraîner dans une danse folle où ses jambes ont fini par ne plus répondre. Tout au long du spectacle, Mohamed, que nous saluons pour la performance physique et l'aptitude à respirer dans le jeu , évoque sa carrière, prend du plaisir à chanter Wadie Essafi, Mohamed Abdelwahab, révèle tout son talent et sa voix magnifique sans oublier la chanson qui a été sans doute à la base de cette idée de spectacle: Kandil beb mnara interprétée lors des « premières journées musicales de Carthage, composée par lui-même sur un texte de Hatem Guizani. Il révèle également sa qualité d'imitateur, notamment en empruntant les personnages de l'émission d'Hannibal-TV Bila moujamla où Lotfi Laamari, Habib Jegham et Walid Zarraa sont triturés à la sauce Jebali sans pitié. Le spectacle riche de personnages et de situations n'a laissé voir que deux couleurs significatives : le noir et le blanc. La seule couleur est celle de la veste dorée, étincelante du chanteur vedette du show-biz arabe. Est-ce vraiment un hasard ? Des hauts et des bas Mohamed Jebali règle ses comptes. Mais il défend aussi la cause de l'artiste tunisien face à l'invasion des pseudo-artistes du Liban, de Syrie et autre Egypte. Ceux-là mêmes qui, hors studio, ne valent plus que par la robe, le chignon ou le jean déchiré. Il règle ses comptes avec les maisons de disque et le goût excessif pour le boumzioued . Et il conclut : « L'artiste tunisien : où va-t-il pouvoir montrer ses talents, si ce n'est dans son propre pays, la Tunisie ? » Ce point de vue est probablement partagé par les artistes locaux, présents dans la salle, qui l'ont applaudi à maintes reprises. Or, la question est importante : Mohamed Jebali a-t-il oublié qu'il a aussi réussi grâce à certaines de ses participations à des spectacles, à des films, à des séries télévisées en Egypte, notamment. Certains diraient qu'il ne faut pas cracher dans la soupe. D'un autre côté, tous les chanteurs arabes qui viennent ne sont pas aussi mauvais qu'il les dépeint. Enfin, cette chanteuse tunisienne, qui chante avec son corps seulement, est-elle le seul modèle des artistes tunisiennes ? Bien sûr que non. Beaucoup de nos voix féminines sont extraordinairement reconnues à travers le monde arabe. Mohamed Jebali a fait de la lutte contre la médiocrité et contre l'hypocrisie dans le milieu artistique tunisien, avec tous ses problèmes, son cheval de bataille dans ses interviews et dans ses déclarations avant même ce spectacle. Il mérite notre respect. Nous relevons cependant le style direct qui a caractérisé le texte écrit par lui-même et mis en scène par Jaleleddine Saâdi. De même la longueur excessive et les scènes quelquefois mâchées et remâchées à longueur de spectacle. Il faut revoir cela pour les prochaines représentations. La dernière question concerne l'artiste lui-même : après le chant, la composition, l'écriture, la danse, la comédie, et enfin le one man show: où compte s'arrêter Mohamed Jebali ?