Par M'hamed jaibi Les Tunisiens ont célébré, mercredi, la fête de la Femme. Avec de menues nuances selon les convictions de chacun, mais en une unanimité «presque» parfaite. Oui, la femme tunisienne est indiscutablement la mieux lotie du monde arabe et musulman. Et, si l'on excepte l'héritage et quelques détails de notre législation nationale, elle est désormais, sur le papier, l'égale de l'homme en droits et en devoirs. Sachant, bien entendu, qu'elle s'oblige de surcroît à des devoirs familiaux non écrits, auxquels elle s'adonne souvent de gaieté de cœur, qu'elle soit femme au foyer ou qu'elle ait un travail rémunéré. Il se trouve, cependant, que dans la pratique de la vie quotidienne, les femmes font l'objet de mille et une discriminations qu'elles admettent sans broncher, quand elles n'y contribuent pas elles-mêmes par le poids de la tradition ou des mentalités. La bataille de l'émancipation et pour l'égalité n'a donc pas épuisé ses arguments, et elle est menée avec une rare détermination par nos mères, nos épouses, nos sœurs et nos filles, au travers de l'effort qu'elles consentent sans répit à faire valoir leur labeur et leur mérite. Ainsi que leur amour sans limites pour la cellule familiale et la communauté nationale. Cette bataille de tous les instants est menée dans tous les domaines de l'activité sociale. Et les défis ont été relevés dans toutes les sphères d'activité pour s'illustrer spectaculairement, ces dernières années, en politique et dans la vie associative. Ce que nos femmes ont montré comme savoir-faire et comme énergie dans la société civile est impressionnant. Mais, s'agissant de leurs droits, leur succès les invite parfois à radicaliser leurs positions et revendications, plutôt qu'à élargir l'audience que mérite leur cause. Certaines (et certains) lancent le bouchon de plus en plus loin, au moment où les mises en cause visant les acquis devraient inviter à ratisser large, à mener un combat drainant consensuellement une écrasante majorité de femmes, sinon toutes. Le moment n'est-il pas venu de veiller à garantir au statut actuel de la femme une adhésion la plus large de la part des Tunisiens de toute conviction et de toute situation ? Je prends l'exemple de la revendication de l'égalité dans l'héritage et de la convention Cedaw. Cela effarouche monsieur-tout-le-monde et rompt le consensus. Et cela affaiblit la cause des modernistes auprès de larges franges de l'opinion, au profit des conservateurs et des passéistes. Certes, il est légitime d'estimer que dans la logique de la considération accordée à la femme par le Coran, Dieu est, bien entendu, acquis à l'égalité entre tous les humains. Mais ne pourrait-on mener une lutte plus «radicale» parce que plus modérée et acceptée, consistant en une critique concrète des pratiques réelles dans notre société et une évolution vers la pleine et entière égalité qui soit librement consentie ? Car, en réalité, notre société, qui fait mine de s'attacher farouchement au texte coranique en matière d'héritage, ne le respecte que rarement dans les faits, donnant toujours l'avantage aux enfants mâles. Dans de trop nombreuses familles, les hommes (et notamment les aînés) s'arrangent pour déposséder les femmes de tout héritage, ne leur laissant que d'insignifiantes miettes. Et trop souvent, les parents participent activement à cette spoliation, de leur vivant. J'ai vu une fille qui était l'aînée, travailler durement pour construire un étage au-dessus de la maison des parents qui sont en vie. Mais, une fois l'appartement prêt, les parents l'ont cédé légalement au jeune frère qui ne voulait rien faire de ses dix doigts. Après son mariage, elle a dû épargner de zéro pour construire un deux-pièces dans un lot de 100m2 à 30 km de Tunis. C'est proprement inhumain, mais nombre de nos filles ne s'en plaignent même pas. Le fait est que la partie se joue au niveau des mentalités, lesquelles restent inconsciemment acquises à la préséance du mâle. Et, à ce niveau, rien ne vaut de faire mine d'aller de l'avant en matière de législation. Pour traquer cette injustice, le combat des femmes doit être désormais livré sur les détails de la vie sociale et sur les mentalités et comportements. Le statut favorise et légitime une telle quête, mais il est impératif que toutes les énergies militantes féminines s'y impliquent, en quittant les salons pour l'arène. Là où les femmes supportent, avec le sourire, une multitude de faits et gestes quotidiens de discrimination.