Par M'hamed JAIBI Avant la Révolution, les Tunisiens étaient passionnés de football et tout tournait autour des péripéties de cette compétition qui en arrivait à provoquer violences et scandales, mobilisant des énergies considérables. Depuis le 14 janvier 2011, tout cet engouement a été canalisé vers la politique. Et nos concitoyens de prétendre à l'expertise en la matière, tout comme ils alignaient, dans le temps, analyses critiques, équipes types et tactiques adéquates, limogeant entraîneurs et présidents de club. En matière de politique, on a comme l'impression que les supporters ont envahi le terrain (le 14 janvier, Kasbah 1, Kasbah 2, grèves, sit-in...) mais ne veulent plus se suffire de leur rôle de spectateurs ou d'arbitres du jeu démocratique, s'estimant aptes à évoluer sur la pelouse des stades publics pour mettre en pratique leurs stratégies propres, celles homologuées à l'épreuve de la Révolution. Mais si le foot a ses règles et ses exigences en termes de capacités sportives et tactico-techniques, de sorte qu'il ne nous sera pas donné de voir les supporters supplanter leur équipe, la politique n'est pas à l'abri des castings complaisants, et nous voyons l'inquiétante pléthore de nos partis (petits ou grands, vrais ou faux) aligner, à la faveur de ce «katous fi chkara» (un chat dans un sac) que favorise le scrutin de listes, d'illustres amateurs en première division, sans qu'aucune «fédération» ne puisse disqualifier qui que ce soit ni même protester. La féroce bataille autour de la désignation des têtes de liste dans la plupart de nos partis illustre à merveille cette dangereuse tendance. D'abord par l'option exclusivement marketing retenue, où les politiques porteurs d'idées ou d'expérience sont déclassés par rapport à des personnages non politiques familiers du public (foot- ball, affaires, showbiz...). Ensuite, par le fait que l'on n'a pas opté pour l'élaboration de listes harmonieuses issues des rangs du parti autour d'un programme et d'une stratégie de campagne. Ce fut, dans la plupart des partis, sur de longs mois bien avant l'annonce des «consultations» sur le choix des candidats, d'odieuses batailles occultes dans les coulisses des états-majors, pour aboutir à des élus prédestinés. Des manœuvres qui ont eu leur lot de mécontentements, de démissions et d'exclusions indues dans les structures, notamment régionales, de plusieurs formations. Et le plus grave dans cette démarche, à l'heure de la proportionnelle de listes régionales, c'est que la «vedette» placée en tête est le moteur de l'équipe et le «meilleur» contributeur dans le choix de ses coéquipiers, une fois les autres prétendants au leadership éconduits. Sachant que seuls les deux premiers noms ont des chances de passer (un homme et une femme). Cette tendance à l'amateurisme prend, s'agissant des candidats à la présidentielle, un tour d'autant plus catastrophique, puisque le prétendant se passe du feu vert de quelque direction partisane pour compter sur ses propres forces, celles du domaine non politique auquel il doit sa notoriété publique. Et cette totale liberté de mouvement s'applique, de la même manière, à la multitude des tout petits partis, lesquels sont «construits» autour d'un candidat que ce soit aux législatives ou à la présidentielle. Il apparaît clairement que cet envahissement du terrain politique par des citoyens peu préparés, qu'ils aient été jusque-là des «spectateurs», des «supporters» ou des amateurs, désoriente l'opinion publique et complique la tâche des électeurs. Et, à l'heure de la République démocratique, où la souveraineté populaire est, au travers du vote transparent, l'unique arbitre du système politique, il est fort utile que les citoyens aient à choisir entre des candidats compétents dignes de les représenter et d'incarner, le cas échéant, la volonté populaire. Afin aussi, ne l'oublions pas, qu'ils sachent sortir enfin le pays du pétrin.