Par M'hamed JAIBI Plus de trente mois se sont écoulés depuis que l'Assemblée nationale constituante a démarré ses travaux, suite à un vote-sanction historique qui a fait confiance à Ennahdha et à son allié, le CPR, pour matérialiser le changement démocratique et concrétiser les autres objectifs de la Révolution. Et durant cette période, somme toute très brève, les Tunisiens ont assisté à une véritable guerre d'usure entre les imposantes tours idéologiques qui balisaient l'échiquier politique, et à une magnifique valse dans tous les sens de ceux qu'on a appelés les «touristes politiques». La responsabilité de cette valse-hésitation n'incombe, en fait, pas aux députés qui s'y sont adonnés mais aux états-majors politiques qui les ont alignés, contre tout bon sens, comme candidats sur leurs listes fourre-tout. Car le recrutement intempestif de militants de la dernière heure, fougueux et bruyants mais sans formation ni certitudes, ne pouvait que conduire à ce cirque, dont Gassas est l'illustration la plus distinguée : islamiste radical d'Al Âridha puis populiste indépendant, puis Nida Tounès atypique, puis de nouveau sans étiquette, mais toujours égal à lui-même dans l'agressivité, le ridicule, la méprise des valeurs républicaines et la vulgarité la plus ordinaire. Il s'agit toutefois de prendre également en considération les changements importants dont l'ANC et la scène politique ont été le théâtre, avec ce formidable débat politique et idéologique en profondeur, qui a mené à l'impasse puis, suite aux assassinats politiques et à l'arbitrage de la rue, ainsi qu'à une providentielle montée au créneau de Mustapha Ben Jaâfar, a ouvert la voie à un consensus national associant l'essentiel des acteurs de la scène nationale, donnant naissance à la nouvelle Constitution et à la feuille de route devant finaliser la transition avec, comme coach, le gouvernement indépendant. Ce sont ces débats en profondeur et ces changements inattendus, autant que les dérives violentes et les assassinats, qui ont conduit plusieurs députés à procéder à un examen de conscience et parfois à se remettre en cause. C'est le syndrome démocratique. Ce ne sont donc pas des fous qui dansent sur l'échiquier, mais des citoyens chez qui s'opère une prise de conscience politique pour être conformes à leurs véritables convictions. Et cette prise de conscience salvatrice mériterait de toucher l'ensemble des formations de notre nouvelle classe politique, laquelle doit impérativement ajuster ses vues en fonction du projet de société consensuel qu'attend le peuple tunisien. Ce projet médian qui marginalise les extrêmes et conforte le modèle tunisien.