Paru aux éditions Sindbad, La saga du mezoued de Ali Saïdane analyse historiquement l'ascension fulgurante d'un phénomène musical de société: le mezoued. Cet «art» profane est pourtant dérivé des chants soufis de la «nouba». «L'hypocrisie sociale liée au mezoued régnait dans tout le pays», affirme Ali Saïdane. Le poète et écrivain a présenté cet ouvrage à l'occasion de la reprise du club de la littérature populaire, qu'il anime à la maison de la culture Ibn-Rachiq, tous les vendredis après-midi. «Ce livre fait partie intégrante de mon parcours personnel, où le mezoued est une composante importante et qui n'est point en contradiction avec mon niveau éducatif», a déclaré l'auteur en introduisant son livre. Le mezoued était longtemps associé au socialement, politiquement et culturellement incorrect. Son histoire et son évolution s'étendent sur plus d'un demi-siècle, d'où l'image d'une «saga», que Ali Saïdane a choisie pour le titre. Quant au contenu du livre, il s'étend sur 114 pages, organisées selon une analyse historique, plutôt que chronologique, propre à l'écrivain . Il y expose les aspects socio-culturels liés à l'ascension du mezoued, en les mettant dans leur contexte historique. Figures et lieux marquants de ce chant populaire sont cités, avec des photographies, des textes et des poèmes illustratifs. Avant d'y arriver, Ali Saïdane parcourt les expressions musicales populaires tunisiennes, du bédouin au citadin, dont le mezoued fait partie. Dans le chapitre «expressions musicales et fonction sociale», l'analyse de l'auteur nous amène au volet politique, où, après l'indépendance, le régime a imposé un embargo médiatique au mezoued et a voulu l'institutionnaliser. Bientôt, l'arrivée de Ben Ali au pouvoir va chambouler le destin du mezoued. «C'est une reconnaissance pour cet art mais cela a été aussi un piège pour ses artistes», ajoute Ali Saïdane. Il explique ceci dans le chapitre «changement de régime, changement de valeurs morales». Réécriture de l'histoire Au cours de la première partie de l'histoire du mezoued, cet art est devenu une forme de résistance, que l'institution et la société ne sont pas arrivées à écraser. Ce point de vue adopté par l'auteur dans le livre est un angle intéressant, pour une autre lecture de l'histoire de la Tunisie. Ali Saïdane le considère, en effet, comme un moyen de résistance à l'oubli. «Notre histoire est marquée par l'amnésie», pense-t-il. La saga du mezoued est, pour son auteur, un livre sur l'histoire de la Tunisie, car «le mezoued écrit son histoire lui-même». Il ajoute que l'histoire du pays a besoin d'être écrite d'un point de vue tunisien et à travers des phénomènes socio-culturels comme le mezoued ou encore le rap, sans qu'aucune composante, qu'elle soit considérée «bonne» ou «mauvaise», ne soit négligée. Une approche qui aurait pu favoriser l'immunité culturelle des jeunes générations et les éloigner de toute forme d'extrémisme. Ali Saïdane est enfin convaincu que la marginalisation des expressions artistiques populaires a fait des ravages dans la société en détruisant les spécificités culturelles locales. «La saga du mezoued est un grand coup de gueule contre le projet culturel du régime après l'indépendance», résume l'auteur qui a opté pour l'écriture d'un livre afin de laisser une trace indélébile. Il annonce que la prochaine étape est de le sortir en dialecte tunisien.