Par M'hamed JAIBI La campagne électorale du second tour vit désormais au rythme de la décision de «neutralité» prise puis confirmée par le Conseil de la choura d'Ennahdha, neutralité qui avait pourtant été démentie de manière spectaculaire sur le terrain, autant par les scores réunis par Marzouki que par l'abondante disponibilité des milliers d'observateurs nahdhaouis au service de ce candidat dans les bureaux de vote de toute la République, et notamment dans le sud du pays, où le «rapport de force» et les scores étaient spectaculaires. Une décision bousculée par la démission de Jebali Car cette décision de neutralité vient d'être littéralement bousculée par la démission de Hamadi Jebali et son appel implicite à appuyer le président sortant, suivi par les annonces similaires de deux «radicaux» du mouvement, Chourou et Ellouze. De sorte que le Conseil de la choura, réuni ce week-end, risque bien de voir un retournement de situation. Ces attitudes déclarées de trois dirigeants historiques du mouvement islamiste sonnent, en effet, comme un désaveu à l'égard de la décision de «neutralité» et comme le signe avant-coureur d'une possible remise en cause de cette décision par l'ensemble du mouvement. Un vote démocratique à une forte majorité Les leaders d'Ennahdha affirment, il est vrai, que la décision avait été prise d'une manière parfaitement démocratique, à une forte majorité. Cependant, l'engouement montré au premier tour par les militants, observateurs, internautes et électeurs nahdhaouis en faveur de Marzouki, ne peut laisser supposer que deux éventualités : soit le double langage, soit la non-adhésion des bases à la décision. Or, dans cette seconde hypothèse, de sérieux risques de division menaceraient le mouvement, maintenant que l'un de ses fondateurs a fait le pas de la rupture. Tout au moins peut-on s'attendre à une remise en cause de la stratégie d'apaisement prônée par Rached Ghannouchi, et qui a permis de finaliser la transition, à la faveur d'un gouvernement et d'un processus consensuels. Le Qatar réintègre le Conseil du Golfe et reconnaît le régime égyptien Le monde arabe et la scène internationale sont traversés par des bouleversements inédits, caractérisés par des alliances inattendues et des renversements de stratégie, à l'image de ce «coup de théâtre» qui a, il y a quelques jours, vu le Qatar réintégrer brusquement le Conseil de coopération du Golfe et reconnaître le régime égyptien, pour «lutter contre le terrorisme». Et la Tunisie, malgré la singularité de son expérience, démocratique, n'échappe pas totalement à l'emprise de cet environnement international. Ne sommes-nous pas, curieusement, le premier fournisseur de «jihadistes» au monde ? Un Premier ministre «modéré» devenu leader de l ‘affrontement Comment pourrait-on expliquer qu‘un Premier ministre modéré ayant défendu l'idée d'un gouvernement de technocrates avant de se retirer soit brusquement redevenu un leader de l'affrontement, comme au bon vieux temps de la Troïka ? C'est qu'un débat non déclaré, voire occulte, traverse la nébuleuse islamiste que la campagne électorale a ressoudée derrière le président sortant. Et, au vu de l'évidente impopularité de la décision de «neutralité» dans les rangs d'Ennahdha, cette option ne peut désormais être sérieusement considérée comme le fruit d'une concertation démocratique au sein du mouvement. Car l'appui proche de l'unanimité accordé à Marzouki par les militants, sympathisants et électeurs nahdhaouis prend vraiment l'allure d'un référendum contre la neutralité, sinon d'un plébiscite... en faveur du sortant.