Moncef Marzouki ne lâche pas prise et annonce la formation de son propre parti : «Mouvement du peuple des citoyens». Ennahdha et le Front populaire sont le réservoir où Marzouki puisera ses militants parmi les mécontents des résultats des législatives et de la présidentielle C'était dans l'air et les politologues ou analystes qui suivaient de près le parcours de Moncef Marzouki ont déjà prédit qu'il sortira grand gagnant de l'élection présidentielle qu'il accède au palais de Carthage ou pas. Hier, vers 18h00, Moncef Marzouki a annoncé, du haut du balcon de son quartier général à l'Ariana, la nouvelle que tout le monde attendait : la création de son parti politique qui portera l'appellation «Mouvement du peuple des citoyens». C'est le parti qui rassemblera «tous les citoyens qui ont voté pour nous, les militants révolutionnaires qui sont déterminés à contrecarrer le retour de la dictature et de l'ancien régime et les jeunes attachés à poursuivre la révolution pour que les objectifs de la révolution soient réalisés». En plus clair, Marzouki va piocher dans les quelque 1.300.000 voix qu'ils a recueillies, dimanche dernier, pour former son parti qu'il destine à être le parti n°1 de l'opposition, le parti qui mènera la vie dure aussi bien à Nida Tounès, qui a gagné les législatives et la présidentielle, qu'à Ennahdha, qui a perdu les législatives du 26 octobre dernier et n'a pas réussi également à influer sur l'identité du président de la République dans la mesure où le parti nahdhaoui n'a pas présenté de candidat à la présidence et n'a soutenu clairement aucun candidat, bien que son électorat ait voté Marzouki le 23 novembre et le 21 décembre. Le hold-up parfait Comment les acteurs de la société civile ont-ils réagi à la décision de Marzouki de créer son parti politique et où va-t-il piocher ses militants ou cadres ? Pour Hassen Zargouni, directeur de Sigma Conseil, «Marzouki a réussi le hold-up parfait à l'encontre d'Ennahdha. On savait qu'il n'allait pas lâcher prise et quand un homme politique dont le parti, le CPR, a gagné trois sièges au Parlement avec 45.000 voix, parvient à rassembler 1.300.000 voix qui ont voté pour lui le 21 décembre, ses ambitions n'ont plus de limites. Il était prévisible qu'il allait poursuivre sa carrière politique à la tête d'un parti qu'il positionne clairement à gauche, loin des idéologies ou des doctrines qui ont fait leur temps. Dans son discours, il fait allusion clairement à Ennahdha en précisant que son parti sera un mouvement populaire de gauche mais qui n'a pas de soubassement marxiste. Et en s'adressant aux jeunes, il cible aussi les jeunes du Front populaire mécontents des tergiversations de leur direction qui s'est révélée incapable de tirer profit des 15 sièges remportés au Parlement». Que doit faire Ennahdha pour contrecarrer les projets de Marzouki qui «sera très content de pouvoir compter 300.000 adhérents à son parti parmi les 1.300.000 qui l'ont choisi le dimanche 21 décembre ?» «Il est clair, souligne Hassen Zargouni, que l'unité au sein d'Ennahdha n'est plus de mise. A la suite de ses défaites le 26 octobre dernier et à l'occasion de l'élection présidentielle, bien qu'il n'ait pas proposé de candidat, Ennahdha est toujours sous le choc et ses dirigeants n'arrivent toujours pas à convaincre sa base de la justesse de leurs choix. Les effets de cette onde de choc sont palpables. Ennahdha est bel et bien divisé en trois factions : la première suivra Marzouki et fera partie de son parti, la deuxième suivra Hamadi Jebali et la troisième reste groupée autour de Ghannouchi, Lotfi Zitoune et Samir Dilou». L'attirance du chaos Le sociologue Khalil Zammiti analyse les choses sous l'œil du chercheur qui sent les pulsions de la rue : «Avec ce que nous avons vécu lors de la campagne électorale présidentielle et les discours développés, notamment celui de Marzouki qui a divisé le pays entre sudistes et nordistes, on a l'impression qu'il y a une attirance du chaos. Quand il n'y a plus de logique et de rationalité, aucun événement ne nous surprend plus». «Marzouki, ajoute-t-il, a sauté le pas en annonçant la création de son parti et a démontré qu'il ne recule devant rien pour assouvir ses ambitions personnelles. Reste comment vont répondre les gauchistes qui se proclament comme étant les gardiens du temple démocratique. Pour moi, ils sont un élément d'un processus qui les dépasse malheureusement et ils ont démontré qu'ils se trompent de société. Peut-être avec la création du «Mouvement du peuple des citoyens», les membres du Front populaire qui sont menacés dans leurs troupes vont revoir leurs stratégies et saisir, enfin, qu'ils ne s'opposent plus à Bourguiba et à Ben Ali. Le feu est désormais dans leur demeure».