Par Hamma HANACHI Editorialiste, doublé d'écrivain de talent, Kamel Daoud écrit depuis des années dans le journal francophone le Quotidien d'Oran, sa chronique «Raïna Raïkom» (Notre opinion est la vôtre). Langue simple, claire, analyse incisive qui fait les délices de son lectorat algérien. Il est aussi éditorialiste au journal électronique Algérie-Focus. On lit ses articles dans Slate Afrique. En 2014, il a vite monté les chemins de la gloire, un ouvrage écrit en français qui a conquis les jurés du fameux prix Goncourt «Meursault, contre enquête» l'a poussé en haut de la scène. Pourquoi n'écrit-il pas en arabe ? Daoud s'explique : «La langue arabe est piégée par le sacré, par les idéologies dominantes. On a fétichisé, politisé, idéologisé cette langue» Quel courage ! Son livre épatant au style caustique, qu'on recommande à tous les amateurs et les curieux, a franchi tous les obstacles et resté en finale du Goncourt. Bataille très serrée (4 voix contre 5) qui a abouti au sacre de sa rivale Lidie Salvayre, pour son roman Pas pleurer éd Seuil. Peu de gens connaissaient Daoud, il est monté en flèche, sa figure est devenue familière des gens de lettres, c'est à croire que ce sont les lecteurs qui ont fait de lui un homme connu. La vérité est loin. Ce qui est sûr, c'est que Daoud, au-delà du cercle des lecteurs, a été connu par le large public plutôt par ses apparitions à la télé que par l'importance de son roman. De nos jours, il faut avouer, il n'y a que les grosses machines médiatiques pour mettre un romancier sur le pavois. Dans une émission populaire, «On n'est pas couché», suivie d'une deuxième sur une autre chaîne, a fait le buzz. L'auteur qui se trouve sous les feux de la rampe fait une déclaration tonitruante, transgressive, qui va dans la chair du sujet qui lui tient à coeur «Si on ne tranche pas dans le monde dit arabe la question de Dieu, on ne va pas réhabiliter l'homme, on ne va pas avancer. La question religieuse devient vitale dans le monde arabe. Il faut qu'on la tranche, il faut qu'on la réfléchisse pour pouvoir avancer». Et que récolte notre brillant romancier suite à cette réflexion? Une fatwa qui le condamne à mort. Abdelfattah Hamadache, dirigeant du Front de l'Eveil islamique salafiste, appelle, sur sa page Facebook, les autorités algériennes à condamner à la peine de mort et à exécuter l'hérétique en public. Motif ? Apostasie Une question se pose naturellement et qui revient sans cesse, ce mufti autoproclamé et ses disciples ont-ils lu le livre ? La réponse ne laisse pas de place au doute, puisque ces «assassins» n'ont aucune considération pour ce genre de lecture, ils ont encore moins d'arguments, encore moins d'intérêt pour des interrogations essentielles : la langue en rapport à la religion.... D'où leur vient l'idée de la fatwa ? De la télé évidemment, des réseaux sociaux qui relaient les déclarations sans retenue, des on-dit, des interprétations plus fantaisistes les unes que les autres. A cette nouvelle Fatwa émise par le chef salafiste algérien, Kamel Daoud a répondu dans son style mordant et cruel. «50 nuances de haine», tel est le titre de son implacable texte. Un collectif d'intellectuels, de citoyens a lancé une pétition (http:/chn.ge/1x1D07c) en 3 langues pour que le pseudo-religieux, auteur de l'appel au meurtre, soit traduit en justice. Et cela nous renvoie naturellement à la condamnation en 2012 du directeur d'une chaîne de télé tunisienne pour avoir projeté le film d'animation Persépolis. Et nous reviennent, encore plus naturellement, les péripéties de la fameuse affaire Salman Rushdi, lequel, pour avoir imaginé dans son roman les Versets sataniques, écrit en 1988, l'archange Gabriel, et un personnage sous les traits du diable qui deviennent des protagonistes de la lutte éternelle entre le Bien et le Mal. L'ayatollah Khomeini, chef de la révolution islamique iranienne, publia une fatwa appelant tous les musulmans à tuer «l'apostat». La Fondation islamiste du 15 Khordad, proche du gouvernement, met sa tête à prix. Avec ces ignorantins, pseudo-théologiens intolérants qui encombrent le paysage médiatique, l'image de l'Islam sera encore plus ternie qu'elle l'est actuellement. C'est sûrement dans cet esprit de meurtre, d'appel à la mort qu'ils se sentent apaisés, heureux.