Pape de la sape, "king" des dancings, sage du village, Papa Wemba veut réhabiliter son nom et faire entendre sa voix. Après plusieurs années de créativité en berne, le papa de la rumba, rebaptisé "Notre Père" à Kinshasa sort à six mois d'intervalle deux albums distincts, destinés au marché congolais (Notre Père Rumba) et international (Notre Père World). Confortablement assis dans le canapé du studio Marcadet à la Plaine Saint-Denis, toute l'équipe de Papa Wemba écoute religieusement les morceaux de son nouvel album Notre Père Rumba, destiné au marché congolais et distribué dans les boutiques du XVIIIe arrondissement de Paris. Papa Wemba sourit, opine du chef, tape dans la main d'un musicien, se réjouit du mixage. C'est la première fois qu'il entend la version finale de ce disque qui doit signer sa renaissance. Après quarante ans de carrière et huit ans de questionnements, Papa Wemba redonne de la voix. Enfin. Double retour Pour fêter dignement ce retour et tourner définitivement la page de ces années sombres, Papa met les bouchées doubles. Depuis Molokaï en 1998, le Rossignol a bien compris que selon les continents, il était attendu sur différents registres. Pour mettre toutes les chances de son côté, il formule donc deux fois son credo : en Afrique avec Notre Père Rumba et dans le reste du monde avec Notre Père World. Les morceaux, tubes survoltés, plus intimistes, ou tradi-moderne kasaïens s'enchaînent et ne se ressemblent pas. Seule constante : la voix, toujours aussi puissante, entraînante, émouvante. L'une des plus belles d'Afrique. "Aujourd'hui, je souhaiterais du fond de mon cœur que mon art reprenne le dessus, que les gens réentendent ma voix et oublient ce que la presse a pu dire de moi…" Papa Wemba fait référence à l'épisode qui l'a conduit en prison en 2003, pour son rôle présumé dans une affaire d'immigration clandestine entre la République démocratique du Congo, la France et la Belgique. A soixante ans, Papa Wemba veut tourner définitivement la page et en musique. Sapologie, un tube à destination des "sapeurs" de Kinshasa et des "faroteurs" d'Abidjan, emplit le studio. Nash, la coqueluche rentre dedans d'Abidjan, rappe en nouchi et Papa Wemba, le roi de la sape, confirme son sacre. Dans un genre plus r'n'b, il invite aussi la chanteuse Ophélie Winter sur un morceau plus consensuel. La rumba de Papa Wemba doit "rassembler et ressembler aux Congolais", affirme le sage, qui prévient que sur ce disque, les fans trouveront des morceaux de rumba contemporaine, sa marque de fabrique, mais aussi quelques pièces d'ancienne rumba, celle-là même, que dans sa jeunesse, le chanteur avait pris plaisir à dynamiter. Moins de vingt ans Sur la console du studio, traînent les paroles de La Bohème de Charles Aznavour, que Papa Wemba a choisi de reprendre. "C'est un tout petit peu mon histoire ! Quand j'avais vingt ans, on réfléchissait beaucoup avec des amis, on se rêvait au sommet, mais on n'avait pas beaucoup d'argent à cette époque, le ventre un peu creux. Maintenant nous sommes des parents, des grands-parents. Alors on essaye de relater ce qu'on a connu". La bohème et le temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, c'est celui de Kin la Belle, des dancings, et des grands orchestres. "Dans la vieille rumba, il y avait beaucoup de paroles et mélodies plus courtes. Aujourd'hui, comme la société des droits d'auteur n'existe plus au pays, il faut faire des dédicaces pour emplir le porte-monnaie, se faire de la publicité… On fait les choses à la va-vite". Ce temps révolu, c'est aussi celui où la créativité payait correctement. "Avant, on prenait du plaisir à vendre 50.000 ou 60.000 disques. Aujourd'hui, pour vendre un peu il faut que le disque tourne en discothèque, c'est le règne du commercial. Je suis un artiste et j'essaie de privilégier mon art. Avec les deux albums, j'ai embrassé les deux aspects : des choix artistiques, d'autres un peu plus commerciaux". Désappointé par les mutations de l'industrie du disque, Papa avoue que la crise a émoussé sa créativité, moins libre qu'auparavant. "Pour cette raison, dans l'album world, qui sortira en octobre en Europe, j'ai pris des risques". Délibérément plus sobre que l'ambiance Rumba, Papa joue sur World la carte virtuose : en duo avec un guitariste brésilien, il ose la formule guitare/voix. Il invite le Guinéen Sékouba Bambino ou fait intervenir une chorale, pour mettre en valeur "le plus beau cadeau que lui ait fait Dieu" : sa voix.