Ce que l'on appelle « la IIe République tunisienne » a enfin son premier gouvernement après s'être dotée d'un premier président. La formation présentée par le Premier ministre désigné, Habib Essid, fait débat. Ce qui est normal dans une démocratie. Chacun en tirera le bon grain de l'ivraie, selon ses propres intérêts. Et les spéculations vont dans le même sens, toujours selon les intérêts partisans et les espoirs d'avantages directs ou indirects. Mais pour le Tunisien lambda, cela importe peu et il nourrit juste l'espoir qu'on n'aura pas changé « une tête d'oignon par une gousse d'ail », selon l'expression populaire bien tunisienne. Ce qui le préoccupe par-dessus tout, c'est son quotidien et son pouvoir d'achat qui n'a fait que se détériorer ces derniers temps. Et il a des attentes pressantes, exprimées par un ras-le-bol sous forme de grèves et de débrayages successifs dans plusieurs secteurs. De fait, le nouveau gouvernement, en attente d'une approbation par l'Assemblée des représentants du peuple, doit faire face à un lourd héritage et doit relever de difficiles défis. La situation déplorable de l'économie est connue de tous et a des répercussions négatives sur le quotidien du citoyen. Les longues grèves répétées, notamment dans des secteurs importants comme le transport et le bassin minier, ont pris fin suite à des accords entre les syndicats et le gouvernement. La grève des agents de la Transtu a coûté à l'Etat la bagatelle de 560.000 dinars et le pays a perdu environ 0,7% de son PIB à cause de la poursuite des grèves et du blocage de la production dans le secteur du phosphate et des mines. Entre 2011 et 2013, les grèves observées dans cette activité ont causé une perte d'environ 3,5% du PIB du pays, soit environ trois milliards de dinars, un montant équivalent à la moitié du crédit accordé par le FMI. L'on est alors en droit de s'interroger sur le retard pris par le gouvernement pour conclure les accords nécessaires. Cela s'explique par une volonté (ou une incapacité) du gouvernement de Mehdi Jomâa d'assumer ses responsabilités financières. Celles-ci vont relever de la responsabilité du nouveau gouvernement Essid qui hérite ainsi d'une belle « patate chaude ». Il aura aussi à résoudre le problème des enseignants du secondaire, également en grève, pour essentiellement des raisons financières. Le nœud du problème se situe justement à ce niveau des finances publiques. « Les caisses de l'Etat sont vides », n'a-t-on cessé de proclamer cette dernière année. D'où cet emprunt public et toutes ces taxes et hausses des prix qui ont détérioré le pouvoir d'achat du Tunisien au point que la fameuse classe moyenne tunisienne n'existe pratiquement plus. Et le citoyen s'interroge : l'Etat n'a pas d'argent pour le citoyen lambda mais il en a, à profusion, pour la classe dirigeante. Notamment, celle qui n'est plus au pouvoir. Des personnalités de la société civile et certains députés de la Constituante demandent la révision et l'amendement de la loi 2005-88 du 27 septembre 2005, relative aux avantages alloués aux présidents de la République dès la cessation de leurs fonctions, promulguée par Ben Ali et lui garantissant une retraite dorée ainsi qu'à sa famille. Comment cela se fait-il qu'on n'ait pas touché à cette loi alors qu'on n'a pas cessé de clamer que le dictateur n'a rien fait de bon ? Cette loi a toujours cours et les deux ex-présidents post-révolution en profitent. Ils perçoivent une rente viagère équivalente à celle allouée au président de la République en exercice (30.000 dinars mensuels), en sus des avantages en nature comme le logement meublé, la sécurité, le transport, les prestations sanitaires (non seulement pour lui, mais au profit également de sa conjointe et de ses enfants jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans). Et ses factures de téléphone, d'eau, d'électricité, de gaz seront payées. Idem pour les 217 députés de la Constituante qui, à la retraite, bénéficient des mêmes avantages qu'ils avaient alors qu'ils étaient en exercice. Dans un pays où le Smig (régime de 48 heures) est de 320 dinars mensuels (270 D pour le régime de 40 heures), ces salaires et ces avantages sont considérés comme indécents. On comprend alors pourquoi il y a cette course effrénée aux postes et aux fauteuils. Le nouveau gouvernement pourra-t-il freiner l'avidité des gouvernants ? Le président de la République, qui se veut proche du peuple, restreindra-t-il ses rémunérations d'autant que toutes ses dépenses sont déjà prises en charge par le budget de la Présidence ? Idem pour les nouveaux ministres et les représentants du peuple. Ce serait là un signal fort à donner aux citoyens qui ne seront pas les seuls à faire des sacrifices et à supporter la situation du pays. Pour le reste, le gouvernement Essid a le devoir de mettre en œuvre son ambitieux programme. Dans tous les domaines et dans l'intérêt général. Tel que promis à plusieurs reprises.