Par Aymen HACEN L'été est la saison de la fatigue. Nous nous promettons en vain des vacances qui n'ont jamais lieu, ou précisément qui n'ont jamais lieu d'être car tous nos alibis, le travail notamment, sont pour ainsi dire annulés, et nous devons honorer tant bien que mal des promesses ou même des propos tenus depuis des mois, pendant des mois, au cours de journées courtes où nous devions promettre ou, tout simplement, reporter nos engagements rien que pour nous désengager sur le moment. Mais, en y regardant de plus près, nous sommes littéralement écartelés entre, disons, des forces contraires : entre le bien-être de soi et les obligations familiales, amicales et autres ; entre la nécessité de profiter de son temps et le devoir de faire profiter aux siens (parfois au sens le plus large du terme) de soi et de son temps. Ainsi, comment trouver quelques moments de répit au moment où des fêtes en tous genres (mariages, fêtes de circoncision, réussites scolaires et divers succès, fiançailles, invitations, etc.) nous prennent en tenailles et nous imposent un rythme de vie plus fatigant que festif, plus dépensier et marchand qu'insouciant et désintéressé. C'est l'été, donc, tout, pour certains, se monnaye. Rien n'est pareil quand on fréquente pourtant les mêmes établissements. Rien n'est pareil et on se demande ce qui s'est passé et ce qui se passe. C'est en effet un collègue qui, indigné, nous a conté cela : à l'hôtel où il avait, comme il aime à dire, ses entrées, il a été refoulé à cause de son cartable de professeur, alors qu'il est connu de tous, du vigile jusqu'au propriétaire de l'établissement, en passant par le personnel et le directeur. Alarmé et néanmoins serein, nous raconte-t-il, il a ouvert son cartable qui ne contenait, cela va de soi, que des relevés de notes, des livres et quelques autres documents. Le vigile n'a pourtant pas désemparé car, semble-t-il, le règlement est clair : le client n'a pas le droit de ramener ni cartable ni sac à dos. La semaine précédente, les choses se passaient tout autrement, répétait-il. Que s'est-il passé entre fin juin et début juillet ? Entre, somme toute, la saison estivale — la haute saison, comme on dit — et le reste de l'année où ce client et les siens, qui sont familiers des lieux, comblent les lacunes de la basse saison. Sans doute ne faut-il pas s'attarder sur ces choses-là qui peuvent arriver, d'autant plus qu'il n'y a aucune conclusion, si péremptoire soit-elle, à tirer de ce type d'accidents. Nous le pensons si fort que nous avons gentiment demandé à cet ami de tourner la page. Et, pour ne pas exposer l'assemblée à des discussions oiseuses, nous avons étouffé cette parole de Lao-tseu : «Ceux qui ne demandent rien ont tout», et lui avons préféré celle-ci : «Les paroles sincères ne sont pas toujours agréables, les paroles agréables ne sont pas toujours vraies. Le bien n'argumente pas. Les arguments ne sont que vaines paroles. L'ignorant croit tout savoir. L'érudit pense qu'il ne sait rien. Le sage ne garde rien pour lui. Plus il donne aux autres, plus il s'enrichit». (Tao-tö king, 81) Ce n'est pas se plier aux vœux — encore moins aux caprices — des uns et des autres, mais il est, nous semble-t-il, une vertu dans la compréhension des pourquoi et des comment des choses. Les raisons des uns et des autres ne sont peut-être pas les nôtres, mais cela ne veut nullement dire qu'elles sont erronées et que les nôtres sont justes et justifiées. Il faut, certes, chercher à comprendre, chercher à dialoguer, chercher même à polémiquer si besoin est, mais jamais à détruire ce que d'autres ont mis longtemps à construire. Cela étant dit, l'été est sûrement la saison de la fatigue pour les raisons que nous avons énumérées, il vaut mieux toutefois sagement jouer le jeu, contenter famille, amis et connaissances, non par opportunisme ou hypocrisie — l'amour et la sincérité, vrais, étant toujours de mise —, mais juste pour le bonheur de partager le bonheur, l'amour et la sincérité des nôtres. Cette quête est la plus précieuse qui soit, pensons-nous intimement. Nous nous y plions d'ailleurs volontiers, même si nous exprimons un certain mécontentement, une certaine gêne, une certaine fatigue. «Mais peux-tu essayer de faire voir les choses sans passer par la culture ?», s'interroge malicieusement Peter Handke dans un savoureux petit livre, Essai sur la fatigue. Non, avons-nous envie de répondre. Si d'aucuns dégainent quand ils entendent le mot culture, nous pensons que nous n'avons que celle-ci à leur opposer, pourvu qu'elle nous serve de ligne de conduite, jour et nuit et par tous les jours, les mois et les saisons de l'année. À lire, donc, ces vers de feu Mahmoud Darwich, en dépit de la fatigue et de toutes les entraves : «Quand tu prépares ton petit-déjeuner, pense aux autres (N'oublie pas le grain des colombes) Quand tu mènes tes guerres, pense aux autres (N'oublie pas ceux qui réclament la paix) Quand tu règles la facture d'eau, pense aux autres (Ceux qui tètent les nuages) Quand tu rentres à la maison, ta maison, pense aux autres (N'oublie pas le peuple des camps) Quand tu dors en comptant les étoiles, pense aux autres (Certains n'ont pas la chance de rêver) Quand tu te libères par les métaphores, pense aux autres (Ceux qui ont perdu le droit à la parole) Quand tu penses aux autres lointains, pense à toi-même (Dis : Que je sois une bougie dans l'obscurité)»