Slobodan Milacic, professeur émérite de droit public et de sciences politiques, se prononce A l'initiative de l'unité de recherche en droit international et juridictions internationales de la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales, Tunis a accueilli dernièrement un colloque international consacré au thème «Constitution et contre-pouvoirs» auquel ont pris part des spécialistes de grande renommée, d'ici et d'ailleurs, dont le professeur émérite de l'université Montesquieu (Bordeaux IV) Slobodan Milacic(*), une référence en droit public et sciences politiques, qui a donné une conférence fort remarquée sur «Le pouvoir : paradigme central du système néolibéral qui nous gouverne». On ne pouvait rater l'occasion d'approfondir avec lui des sujets tels les contre-pouvoirs et les anti-pouvoirs, les révolutions, les post-révolutions et leurs similitudes, l'exercice de la démocratie, le rôle de la société civile... Rassembleurs Evoquant l'exemple de l'ex-Yougoslavie, son pays d'origine, ce Français qui a vécu son enfance et sa jeunesse à Belgrade avance que «le peuple s'est révolté contre le totalitarisme d'un pouvoir plus que contraignant par sa dimension idéologique et pas seulement politique. Il a mis sous sa coupe l'ensemble du pays, étouffant toute velléité de constitution d'une société civile qui aurait pris conscience de son autonomie et de sa diversité pour essayer de s'organiser et faire valoir ses différents intérêts et valeurs». Et au juriste d'établir la comparaison avec les derrières révolutions dans le monde arabe, particulièrement en Tunisie, en affirmant que «nonobstant les facteurs endogènes et exogènes, ainsi que les différences dans l'espace et dans le temps, des ressemblances majeures existent dans la vocation démocratique et pluraliste quant aux débouchés de ces révolutions. Elles ont été menées contre des régimes non démocratiques pour en former d'autres qu'on appelle «Etat de droit» qui a ses rigueurs et ses exigences, dont le contenu est d'ordre politique, démocratique et substantiellement libéral». Pour M. Milacic, les similitudes résident également dans les périodes succédant aux révolutions, des périodes délicates, souvent longues, faites de patience et de réformes cumulatives. Et de rappeler qu'il dit toujours à ses étudiants : «On fait les révolutions puis on fait l'évolution». Cette dernière ne peut être que progressive, car dépendant de nécessaires compromis. Et notre orateur d'expliquer : «Le poids du passé étant toujours présent dans les révolutions et étant donné que l'on passe d'une extrême (autoritarisme) et à une autre (liberté), on débouche immanquablement sur une situation chaotique, voire anarchique avec plein de revendications et d'exigences de toutes parts. Aussi faut-il beaucoup de patience et même de sagesse pour accepter que les aspirations individuelles, en termes d'intérêts et de valeurs, ne soient pas satisfaites dans l'immédiat. Le contexte économique de crise aggrave pour beaucoup le passage à la vraie démocratie. L'opposition n'est pas l'antipouvoir A la question relative aux contre-pouvoirs et à son rôle après une révolution, le Pr Slobodan Milacic répond que les systèmes, les cultures et les civilisations ne progressent que par la confrontation des valeurs et des idées. Les contre-pouvoirs ont la latitude de critiquer et de proposer. Partant de là, ils ne sont ni neutres ni à effet nul, et ils sont aussi nécessaires à la société que le pouvoir lui-même, afin que les choix démocratiques s'opèrent, la fonction critique s'exerce et l'ensemble progresse. M. Milacic précise ici que contre-pouvoir ne veut pas dire antipouvoir ou antisystème (les éternels contestataires et les «marginaux», il y en aura toujours et il faudra les gérer en tant que tels), mais les mouvances qui à vocation gouvernante qui ont autant de légitimité que le pouvoir lui-même, avec une compétence moindre. Celles qui peuvent, par un vote futur, exercer le pouvoir majoritaire, démocratique et légitime, et qui sont appelées à collaborer avec le pouvoir pour, par exemple, amender les initiatives et les décisions prises, mais aussi pour se préparer au jour où elles se substitueraient à lui, en sauvegardant ce qui a été accompli et sans tout bousculer pour éternellement recommencer à partir du point 0. Ce contre-pouvoir est tout simplement et par excellence l'opposition qui doit respecter la règle du jeu démocratique, dont la moindre est de reconnaître la majorité en tant que telle, à qui le souverain peuple électoral a confié la gouvernance du pays, provisoirement (durée du mandat) et sous contrôle. Et la société civile, dans tout cela ? Quant à la société civile, avec ses multiples composantes, elle est une «abstraction» pour M. Milacic. Elle a beau avoir le vent en poupe, elle n'en demeure pas moins dispersée, plurielle et à aspirations multiples, parfois contradictoires. La démocratie étant un système d'arbitrage politique (non pas idéologique ou économique) des différents intérêts et autres valeurs de la société civile, cette dernière doit faire valoir ses aspirations, ses idées et ses valeurs dans l'espace politique, pour qu'elles puissent être traduites en mesures législatives par exemple. «Nous sommes tous des représentants de la société civile, mais personne n'en a le monopole», résume-t-il. Et pour se faire davantage comprendre, Slobodan Milacic affirme que toutes les demandes de la société civile doivent être traduites en idées politiques qui se défendent par les arguments et non les sentiments, le dernier mot devant revenir à l'électeur... pas au juge. (*) Slobodan Milacic, officier des Palmes académiques et chevalier de l'Ordre national du mérite, est l'auteur de nombreux ouvrages, dont notamment «La Constitution spectacle», «La Révolution française dans le miroir de la révolution d'Octobre», «La Révolution américaine, une révolution escamotée», «Les révolutions démocratiques à l'Est de l'Europe»