déclare Hatem Mrad «Ennahdha contrainte au compromis et au pragmatisme» «L'enjeu dans le pays n'est pas une majorité contre une minorité» Le monde arabo-musulman est-il condamné congénitalement à ne pas connaître le libéralisme et la démocratie et se résigner à être domestique éternellement ? Quels sont les ingrédients salvateurs à concocter pour galvaniser les foules et les tirer d'une torpeur devenue séculairement héréditaire et avilissante pour aspirer enfin aux valeurs du libéralisme et de la liberté ? Avec la montée des islamistes au pouvoir la donne s'apparenterait-elle au mythe de Sisyphe ? La révolution du 14 janvier a vu le jour grâce au sacrifice des jeunes et l'appui d'une société civile moderniste qui se sont soulevés en masse contre le despotisme, soulèvement auquel les islamistes n'étaient pas présents. L'universitaire Hatem Mrad qui avait déjà travaillé sur la délimitation et la signification générale du libéralisme, s'est penché sur le cas concret du monde arabo-musulman. Après avoir confronté les idées entre elles, il les confronte à la réalité. Il précise que le « libéralisme a été malmené par les doctrines adverses. Dans l'histoire des idées politiques, le libéralisme est une philosophie de limitation du pouvoir ». Il a intitulé son dernier livre « Libéralisme et liberté dans le monde arabo-musulman », pour dire que le libéralisme mène à la liberté. Il a affirmé, hier à la Faculté des Sciences juridiques à Tunis2, que « dans le monde arabo-musulman le pouvoir se trouve divisé entre militaires et oligarchies, au point de se poser la question : le peuple arabe et musulman est-il maudit ? ». Son livre qui avait été écrit avant les élections du 23 octobre, est « une balance entre les obstacles à l'implantation du libéralisme et les chances possibles ». La Révolution lui a permis d'ajouter un chapitre pour s'interroger : peut-il y avoir du libéralisme dans la Révolution ? Il était pessimiste à moyen et court terme et misait sur l'éducation pour qu'elle porte ses fruits à long terme. Beaucoup d'auteurs avaient pensé à l'évolution du monde arabe à travers la maîtrise du savoir comme Tahar Ben Achour, Tahar Haddad…La Tunisie a connu la pratique libérale par l'éducation. Kheïreddine Pacha eu le grand mérite d'avoir fondé le Collège Sadiki. Habib Bourguiba avait modernisé l'enseignement Zeitounien. Mohamed Charfi avait réformé l'enseignement public. Après la Révolution « le pessimisme total n'est plus de mise. Les peuples arabes ne sont pas si inadaptés à la liberté », dit-il. Toutefois, la menace traditionnaliste rode et guette toujours. Des chances existent pour le libéralisme car « la Révolution est venue d'en bas, par la jeunesse. Elle est l'œuvre de la société civile ». Peut-on parler de libéralisme après la Révolution ? L'universitaire se montre nuancé et répond par oui et non. Ce qui est positif est la création d'une société civile indépendante du pouvoir. Avant la société civile souffrait de clientélisme. Les partis politiques n'ont véritablement commencé à exister qu'aux mois de mars et avril 2011. La société civile avait plus de légitimité, avant les élections. Elle était attachée à la liberté. « Aujourd'hui, la liberté d'opinion et d'expression est un fait certain. Depuis l'époque des Phéniciens il n'y a jamais eu de phase de liberté en Tunisie. Dans l'histoire du peuple arabo-musulman, il n'y a jamais eu de parenthèse de liberté », dit-il. C'est là que la liberté trouve tout son sens. Il précise qu'aujourd'hui, « malgré les appels à la tradition du pouvoir à majorité islamiste, la liberté d'opinion représente elle-même un contre-pouvoir ». De la société civile se dégage cette liberté d'opinion se traduisant en des revendications de réformes constitutionnelles. Dans l'histoire, les libéraux revendiquaient un acte écrit qu'est la Constitution. C'est la société civile qui a commencé à réclamer une Constitution, la mise à l'écart des ministres RCD et a fait tomber le Gouvernement Ghannouchi. Une des premières raisons de la succession de Béji Caïd Essebsi à Ghannouchi, était le désir d'avoir une nouvelle Constitution. Un régime démocratique ne peut être servi par une Constitution qui a servi deux régimes autoritaires. Même si la Révolution était au départ à la recherche de réformes économiques et sociales, celles-ci ne pourront être réalisées qu'en engageant des réformes politiques. « C'est l'union des forces de la société civile qui a permis l'avènement du 14 janvier. L'islamisme est-il compatible avec la liberté ? A cette question l'universitaire répond que « les islamistes actuels au pouvoir ne me gênent pas beaucoup dans la mesure où ils acceptent le jeu démocratique et surtout qu'il y ait des contre-pouvoirs ». Le contre-pouvoir n'est pas seulement l'affaire des partis politiques. Il faut compter aussi avec l'UGTT et la presse. « C'est-ce qui fait que la majorité islamiste ne peut franchir un certain seuil. En plus l'UGTT n'est pas là uniquement pour défendre les droits du monde du travail. Elle est aussi là pour défendre les fondements de la République. Elle agit comme un contre-pouvoir ». Le conférencier se montre confiant que les islamistes vont apprendre à être pragmatiques et à s'accommoder de compromis. Il croit qu'ils ne seront pas une menace pour les acquis. « Ils savent distinguer les rapports de force. Ils ont su faire machine arrière quand il fallait le faire et avancer leurs pions quand c'est possible. Ils respectent de plus l'avis contraire. En même temps, les laïcs sont en train de les comprendre davantage. Après des élections démocratiques, le compromis est un des éléments importants pour l'apprentissage de la Démocratie ». Dans cet ordre d'idées, il rappelle l'abandon de l'inclusion de la Chariâa dans la Constitution, grâce à un débat à l'intérieur d'Ennahdha et à la clairvoyance de Rached Ghannouchi. De même à l'intérieur du Congrès pour la République (CPR) et à Ettakatol, des déchirements existent. Partout la recherche et l'apprentissage du compromis deviennent la règle, comme au sein du Parti Républicain et d'autres partis. Les trois présidents de la Troïka, se rencontrent chaque semaine pour coordonner leurs décisions. Le conférencier pense que l'enjeu pour le pays n'est pas une majorité contre une minorité, mais la mise en place de règles de jeux et de principes à inclure dans la Constitution. Ces règles et principes ne peuvent être définis qu'on optant pour le compromis. Quelles difficultés rencontre-t-on pour enraciner le libéralisme dans le monde arabo-musulman ? Le conférencier en dénombre quatre : la centralisation du pouvoir, l'omniprésence de la religion, la morale de groupe et l'absence d'une bourgeoisie autonome. Le libéralisme est l'antidote de l'islamisme et de la morale de groupe, car le libéralisme défend la liberté individuelle. L'espoir de l'implantation du libéralisme réside dans la rationalisation de la vie politique. En Tunisie, le courant réformiste ne peut être ignoré par les islamistes. En fin, l'éducation par la liberté est une garantie pour le futur. Hassine BOUAZRA daassi aghioul Mourad zenati