Mêler le ballet-parade de Sihem Belkhodja aux pièces symphoniques de l'orchestre dirigé par Hafedh Makni n'était pas la meilleure option pour une cérémonie de réouverture du Bardo. Un musée qui méritait mieux après sa profanation à la suite du massacre du 18 mars dernier. Aux abords du Musée national du Bardo, désormais gardé par de multiples barrages policiers, des groupes de participants au Forum mondial économique déploient leurs drapeaux et leurs sourires, en signe d'encouragement et de soutien à l'adresse des passants tunisiens. Ils ont fini ici, avant-hier après-midi, à l'heure de l'inauguration du Forum, une marche arrosée par des cordes de pluie, entamée depuis la place Bab Saâdoun, à Tunis. Leur arrivée aux environs du musée coïncide avec le moment de sa réouverture non pas publique, comme souhaitée par des centaines d'internautes et d'activistes de la société civile depuis plusieurs jours, mais officielle. Ils ne pourront pas assister au concert de musique présenté par l'Orchestre symphonique tunisien organisé par le ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine à cette occasion. Tout comme ceux, nombreux, bravant le mauvais temps ayant afflué cet après-midi-là des divers quartiers de la capitale. Tenaces, ils restent pourtant suspendus à la barrière policière, érigée devant le musée, leurs drapeaux rouge et blanc à la main et leurs slogans contre le terrorisme à fleur de mots. Le programme de la réouverture du Bardo a probablement été retouché à la dernière minute. Sinon que fait le ballet-parade aux allures d'un kitsch absolu de Sihem Belkhodja dans une cérémonie solennelle d'hommage aux vingt et une victimes de plusieurs nationalités tombées dans l'enceinte du Bardo après l'attentat jihadiste du 18 mars dernier ? Par sobriété, on aurait pu se suffire pour honorer la mémoire de ces hommes et de ces femmes du récital de musique classique, qui se prête à merveille à ce genre d'évènements poignants. Ou au moins, pour éviter que l'un ne parasite pas l'autre, séparer l'espace réservé aux deux formations. Leur faire partager le hall du musée, aussi étendu soit-il, a beaucoup nui à la qualité du silence, d'interprétation et d'écoute du concert. Hafedh Makni affirmera à la fin du spectacle : « J'ai dû écourter le concert car les conditions de la salle et de l'organisation générale nous ont donné beaucoup de mal ce soir. J'aimerais reprendre ce programme que j'ai soigneusement préparé dans un cadre plus favorable tel le Théâtre municipal par exemple ». Le concert s'ouvre avec l'hymne national, se poursuit sur des compositions de jeunes auteurs tunisiens, « Les méditerranéens » de Mohamed Makni, « Souvenirs » de Aymen Aziz Salah ( 17 ans) et sur la performance du très talentueux soliste Selim Khammassi (12 ans). Le concept du programme concocté par le maestro H.Makni a voulu équilibrer entre des pièces joyeuses et des pièces au ton plus grave puisées dans les répertoires musicaux des pays des victimes, l'Italie, la Pologne, l'Espagne, la Russie, la France, le Japon, l'Angleterre, la Colombie, la Belgique et la Tunisie. Mais ni l'Adagio d'Albinioni (Italie), œuvre prenante et belle, ni le fameux concerto pour piano n°2 de Rachmaninov (Russie) au lyrisme tourmenté, ni la Fantaisi-impromptue de Chopin (Pologne), une gracieuse mélodie, ni encore la pièce contemporaine joliment entraînante de L. Aguilar (Colombie), ne réussissent à capter l'attention d'un public bavard et déconcentré par un trop-plein de show et de bruit. L'ambiance de recueillement et d'émotion attendue au moment de la réouverture du musée après sa profanation et le carnage qu'il vient de subir étaient au rendez-vous beaucoup plus dans la foule rassemblée à l'extérieur qu'a l'intérieur du Bardo ce soir-là...