Les remous suscités au sein de la coalition gouvernementale à la suite de la désignation de six gouverneurs sans que les alliés de Nida Tounès ne soient consultés risquent de faire tomber l'équipe ministérielle Essid Existe-t-il une solidarité effective au sein du gouvernement Habib Essid ? Le chef du gouvernement est-il soutenu réellement par les partis politiques qui composent son équipe ministérielle ? Les deux questions se sont imposées, ces derniers jours, à la suite de la polémique ayant accompagné la nomination de six gouverneurs. Afek Tounès dénonce le fait qu'il n'a pas été consulté à propos des personnalités choisies dont l'une avait occupé les fonctions de délégué à l'époque de Ben Ali. Ennahdha a choisi de critiquer le recours «à certains visages de l'ancien régime» mais a confié la mission de contester la décision de Habib Essid à des responsables nahdhaouis de second rang. Quant au parti de l'Union patriotique libre dirigé par Slim Riahi, il garde le silence total. Entre-temps, les Tunisiens qui suivent l'évolution de la scène politique nationale depuis les élections législatives et l'installation du gouvernement Essid se trouvent désorientés et ne savent qui croire parmi les ministres du gouvernement ou parmi les partis politiques qui forment ce même gouvernement. Et l'on se demande comment les membres d'une même coalition gouvernementale sont actuellement à couteaux tirés dans les médias à propos de décisions qu'ils sont censés avoir prises ensemble. Les propos que se sont échangés, hier, sur une radio privée, Rym Mahjoub (Afek Tounès) et Noureddine Ben Ticha (Nida Tounès) sur l'absence de coordination entre les quatre partis alliés au gouvernement et «le peu de respect que manifeste Nida Tounès à l'égard de ses partenaires au gouvernement» sont révélateurs d'un sérieux malaise longtemps étouffé mais qui a fini par exploser et qui risque de faire éclater à la longue la fragile coalition montée par Essid. Un gouvernement de ramassis «Je ne suis nullement surpris par ces pratiques où des partis partenaires dans un gouvernement parti pour durer cinq années sont informés comme tout le monde sur des nominations concernant six nouveaux gouverneurs. Cela dénote une absence totale de toute forme de solidarité gouvernementale. Et ce n'est pas un secret de dire que le gouvernement actuel est un gouvernement de ramassis n'ayant aucun programme politique commun», souligne Jawher Ben M'barek, militant de la société civile et coordinateur général du réseau «Doustourna». Il ajoute : «J'ai le sentiment que Habib Essid est sous l'emprise du palais de Carthage et il ne fait qu'obéir aux instructions de Béji Caïd Essebsi, voire aux ordres de la cour qui entoure le chef de l'Etat. Il n'est pas étonnant dans ce contexte de voir l'un des conseillers de Béji, en l'occurrence Mohsen Marzouk, interférer dans les affaires du gouvernement et appeler à un dialogue national qui définira les grandes réformes». Et comment analyse-t-il les positions des partis politiques de la coalition ? Jawher Ben M'barek répond : «Il est normal qu'Afek Tounès réagisse ainsi. C'est un parti qui prépare son avenir et ses dirigeants ne sont pas prêts à se mouiller et à payer les frais des erreurs des autres. Slim Riahi garde le silence parce qu'il cherche à se protéger. Son seul programme est de se faire oublier. De son côté, Ennahdha laisse passer la tempête, au vu de la situation intérieure et du contexte extérieur. Ses dirigeants plient devant la tempête et attendent le congrès du parti et espèrent que le vent va tourner en leur faveur». «Nous ne sommes pas dans un Etat de droit, mais dans un Etat d'individus» La phrase est l'œuvre du professeur de droit public Abdelmajid Abdelli. Il précise : «Ce qui est grave pour les institutions instaurées par la Constitution, considérée comme la règle de droit suprême, est que les individus qui sont chargés de la respecter et de l'honorer sont en train de la violer. Quand j'écoute le président de l'Assemblée des représentants du peuple interpréter à sa façon l'article 148 de la Constitution, je suis sidéré et je me demande où nous allons avec ces fouqahas de la 25e heure», souligne-t-il. Pour revenir à la polémique ou à la discorde qui traverse la coalition au pouvoir, Abdelmajid Abdelli est tranchant : «En réalité, il n'existe pas de coalition à la tête de l'Etat mais plutôt des individus qui appliquent la règle du donnant-donnant. Il s'est avéré, en effet, que les Tunisiens ont élu des individus qui n'ont ni programme, ni tactique, ni stratégie. Je me pose la question : Où va-t-on ? C'est bien vers «la dictature démocratique» qui est pire que celle d'un seul individu. En Tunisie, on n'a pas encore la notion d'un parti politique qui exerce le pouvoir mais plutôt des individus au pouvoir n'ayant pas la culture de l'exercice démocratique de ce même pouvoir».