Les articles 13 à 34 du projet de loi dressent une liste minutieuse et exhaustive des actes assimilables à des crimes terroristes Les membres des quatre commissions de l'ARP concernées par la loi antiterroriste ont auditionné, hier, les ministres de la Justice, de la Défense et de l'Intérieur. Les députés ont eu l'occasion d'écouter les explications détaillées du ministre de la Justice, Mohamed Salah Ben Aissa, et les révélations aussi bien du ministre de la Défense, Farhat Horchani, que celles du ministre de l'Intérieur, Najem Gharsalli. A l'ouverture de la séance extraordinaire d'audition, le président de l'ARP, Mohamed Ennaceur, a demandé au gouvernement de «mettre en place une stratégie globale de lutte contre le terrorisme». Selon lui, le terrorisme possède plusieurs facettes et ne saurait se résumer à l'examen d'un projet de loi. Une nouvelle loi antiterroriste, pourquoi ? C'est la question à laquelle a répondu le ministre de la Justice, Mohamed Salah Ben Aissa, surtout que la loi 75 de 2003 relative au soutien de l'effort mondial de lutte contre le terrorisme est toujours en vigueur. L'équipe d'experts ministériels qui se sont penchés sur la rédaction du texte avait pour mission, selon Ben Aissa, de corriger les lacunes de la loi de 2003. C'est que cette loi, bien qu'efficace, souffrait de graves entorses aux principes fondamentaux des droits de l'Homme. Ainsi, la loi qu'utilisait parfois Ben Ali pour museler ses opposants, ne proposait aucune définition claire de l'acte terroriste. De sorte que des délits de droit commun pouvaient facilement être considérés comme des actes terroristes. «La loi de 2003 criminalise également les intentions », explique le ministre de la Justice. Ce qui est, en vertu des principes juridiques, une véritable aberration». Pour le ministre, la loi de 2003, par ailleurs toujours en application, bafoue le droit de la défense en violant le secret de la teneur des discussions entre l'avocat et son client. Dans le volet blanchiment d'argent, la loi de 2003, amendée en 2009, permettait de geler des fonds au cas où il y aurait «un fort soupçon de blanchiment d'argent. «Un fort soupçon, soutient le ministre, ne pourra jamais être considéré comme une preuve». « La commission de rédaction s'est inspirée des standards internationaux, du droit comparé et des bonnes pratiques en matière de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent», poursuit-il. Que contient le projet de loi ? Pour éviter toute polémique, le projet de loi n'a pas défini le terrorisme mais a défini l'acte terroriste. Les articles 13 à 34 du projet de loi dressent une liste minutieuse et exhaustive des actes assimilables à des crimes terroristes. L'article 13 par exemple dispose que «sera considérée comme coupable d'un crime terroriste, toute personne qui, intentionnellement, avec n'importe quel moyen et en application d'un projet individuel ou organisé, commet des actes dans le but de semer la terreur parmi la population...». Le projet de loi traque également ceux qui encouragent la perpétration d'actes terroristes ainsi que les actes d'appui en logistique, lorsque celui-ci crée une situation de danger imminent. Ceux qui apporteraient un soutien logistique à des groupes terroristes seront de ce fait eux-mêmes considérés comme terroristes. Le projet de loi, dans plusieurs de ses articles, crée un cadre juridique pour, ce que le ministre de la justice appelle, «les moyens spéciaux d'investigation». Parmi eux : l'interception des appels, l'infiltration des groupes terroristes, la prise de photos de manière anonyme et la protection des témoins. Ces dispositifs sont évidemment sous le contrôle très rigoureux de la loi. A titre d'exemple, le procureur de la République peut délivrer un mandat de 4 mois renouvelable une seule fois pour l'interception des appels téléphoniques et la surveillance d'Internet. La particularité du crime terroriste, soulignée par plusieurs intervenants, a nécessité un traitement particulier. D'où la création d'un pôle judiciaire pour la lutte contre le terrorisme qui permettra d'assurer plus d'efficacité. Les députés, toujours en désaccord Le président de la commission de législation générale, à qui revient la lourde entreprise de l'examen des 139 articles, s'est opposé à la souplesse avec laquelle le projet a été rédigé. «Il faut criminaliser les intentions lorsqu'elles risquent de porter préjudice à la sécurité nationale », a réagi Abada Kéfi. « Nous sommes dans une véritable guerre», martelle-t-il. Selon lui, il ne faudrait pas que l'Etat rougisse de quoi que ce soit lorsqu'il s'agit de l'intérêt suprême de la nation. «D'ailleurs, dit-il, l'article 68 du code pénal criminalise les intentions de complot, même si ces intentions ne sont pas suivises d'actes». Une position qui lui vaut une protestation de la part du député Mohamed Ben Salem (Ennahdha), qui dit «comprendre que Abada Kéfi défende la loi de 2003 vu qu'il en est l'un des experts qui ont contribué à sa mise en place». Selon le même député, l'affaire du supposé groupe «Abou Meriem» puis la relaxation du présumé chef de ce groupe donnent matière à réfléchir sur la nécessité de respecter un peu plus sérieusement la présomption d'innocence.De son côté, la présidente de la commission des droits et libertés a exprimé son regret de voir que la peine de mort figure dans le projet de loi, alors que la constitution de janvier 2014 tendait implicitement à l'abolir. Bochra Belhaj Hamida a également exprimé ses craintes quant à la définition du crime terroriste, qui reste vague. «Qu'est-ce que la dégradation des biens publics et privés», se demande l'avocate et députée de Nida Tounès. Le président de la commission des affaires des forces armées, Jalel Ghedira, quant à lui, a plaidé pour le maintien de la peine de mort dans le projet de loi. Il plaide pour un durcissement de certains articles à l'instar de celui portant sur la surveillance des télécommunications. «Je propose qu'un troisième mandat de 4 mois soit délivré pour la surveillance des télécommunications, au cas où de nouveaux éléments venaient renforcer les doutes», a déclaré Jalel Ghedira. Les révélations de Farhat Horchani et de Najem Gharsalli Dans l'après-midi, le ministre de la Défense a été auditionné en compagnie du ministre de l'Intérieur. Plus généralistes, les interventions des ministres ont permis d'en savoir plus sur les capacités réelles de l'armée nationale et les avancées des forces de sécurité dans leur combat contre le terrorisme. En bon constitutionnaliste, Farhat Horchani admet qu'il est nécessaire qu'il y ait un contrôle parlementaire sur les activités des forces armées, tout en rappelant que les forces de l'armée nationale agissent actuellement sans aucune couverture juridique dans leur traque des terroristes. Il invite les membres des commissions parlementaires spécialisées à faire des visites régulières aux différentes structures de l'armée pour en savoir plus sur leurs capacités et leur mode de fonctionnement. «J'appelle aussi la commission des affaires des forces armées à faire du lobbying auprès des parlements occidentaux afin de faciliter les accords d'armement en faveur de la Tunisie», a réclamé le ministre. Sur un autre plan, le ministre a avoué que l'armée manque cruellement de moyens, notamment en jumelles infrarouges et en gilets pare-balles. Le ministre de l'Intérieur a déclaré lors de son intervention que des guerres de leadership se sont déclenchées dans les groupes terroristes après la mort de «Lokmane Abou Sakhr».