Quand Béji Caïd Essebsi occupe le petit écran pour trois bonnes heures, il faut s'attendre à une soirée à ne pas rater parce que rompant avec les talk-shows ronronnants et harassants. Le chef de l'Etat n'a pas tout révélé, mais il a tout dit On attendait beaucoup de la grande interview accordée, vendredi soir, par Béji Caïd Essebsi, président de la République, à la chaîne «Al Hiwar Ettounsi». On voulait savoir par exemple pourquoi le chef de l'Etat a décidé de se séparer aussi facilement de son conseiller Mohsen Marzouk qui a exprimé sa volonté de quitter le palais de Carthage pour briguer le poste de secrétaire général de Nida Tounès. Les observateurs voulaient être édifiés également sur la crise sourde qui oppose depuis quelques semaines le président de la République à son ministre des Affaires étrangères, Taïeb Baccouche, qui postule lui aussi au poste de secrétaire général de Nida Tounès. Le projet de la loi sur la réconciliation nationale soufflé par Béji Caïd Essebsi dans son discours du 20 mars dernier demeure, lui aussi, flou dans l'esprit des intéressés, plus particulièrement les membres du Conseil de direction de l'Instance vérité et dignité qui n'ont pas hésité à dénoncer le hold-up qui menace leur instance et risque de lui faire perdre l'essence même de son existence. La problématique figurait parmi les sujets que Béji Caïd Essebsi a traités dans ses réponses. D'autres sujets d'actualité exigeaient des réponses, des clarifications et des rectifications de la part du locataire du palais de Carthage qu'on considère — n'en déplaise aux auteurs de la Constitution — comme l'homme qui dispose des réponses à toutes les questions et des solutions miracles à tous les problèmes, quelle que soit leur complexité. L'affaire Soufiène Chourabi et Nadhir Ketari, le dossier du bassin minier, le retour de l'ambassadeur syrien à Tunis, le possible remaniement ministériel à la lumière du bilan que soumettra Habib Essid des cent premiers jours de son gouvernement, autant de dossiers que Béji Caïd Essebsi a traités lors de sa soirée sur «Al Hiwar Ettounsi» (près de trois heures d'affilée), en usant de son humour particulier, de sa spontanéité étudiée et de sa rhétorique devenue familière pour beaucoup de Tunisiens et de Tunisiennes qui ne rateraient plus pour tout l'or du monde une veillée avec leur président. Le palais est ouvert à tout le monde Vendredi soir, Béji Caïd Essebsi a ouvert son cœur et a même réussi à décrisper ses intervieweurs par ses réflexions et ses réparties, allant même jusqu'à leur suggérer les questions qu'ils peinaient à poser. «Le rendement du gouvernement Habib Essid est acceptable. Et s'il y a un remaniement à faire, c'est bien le chef du gouvernement qui le décidera», a-t-il souligné. Voilà qui est clair et les ministres qui se sentent menacés peuvent se tranquilliser. S'ils sont écartés, c'est bien Habib Essid qui en sera le responsable. Habib Essid, lui aussi, n'a rien à craindre pour le moment. «Je ne regrette point de l'avoir choisi pour former le gouvernement et le présider. C'est le meilleur choix possible. Il est l'homme qu'il faut à la place qu'il faut», précise le chef de l'Etat. Quant à Taïeb Baccouche, ministre des Affaires étrangères, «on ne peut pas évaluer son rendement seulement trois mois après avoir accédé à la tête de la diplomatie tunisienne». Et Mohsen Marzouk, le ministre-conseiller qu'on présente comme l'homme fort du palais, est-il parti pour occuper le poste de secrétaire général de Nida Tounès? «Celui qui veut partir n'a qu'à le faire. J'ai demandé à Marzouk qu'il m'explique l'affaire. Il m'a répondu qu'il n'a pas encore pris de décision définitive. S'il veut quitter le Palais de Carthage, je ne le retiendrai pas». Pour ce qui est de la guéguerre qui dévaste Nida Tounès, Béji Caïd Essebsi choisit de se placer au-dessus de la mêlée en soulignant que c'est aux nidaistes de résoudre leurs problèmes et de choisir par eux-mêmes leur futur secrétaire général. «Et s'ils veulent écarter Hafedh Caïd Essebsi, mon fils, ils sont libres de le faire», martèle-t-il, espérant mettre un terme à la rengaine selon laquelle il cherche à ce que son fils le remplace à la tête du parti. Dans la même foulée et pour démontrer qu'il est effectivement le président de tous les Tunisiens, il déclare : «Le palais est ouvert à tous les Tunisiens, ceux qui veulent une rencontre n'ont qu'à s'exprimer et ils seront les bienvenus». Et si Moncef Marzouki voulait voir Béji Caïd Essebsi ? «Marzouki est un ancien président de la République et cette qualité lui vaut tous les égards dus à un chef d'Etat. Je suis disposé à l'accueillir au palais à n'importe quel moment et à dialoguer avec lui», précise Essebsi. Nous avons fait tout notre possible A propos du dossier Chourabi-Ktari, la position de Béji Caïd Essebsi a été on ne peut plus claire et tranchante. «Nous avons fait tout ce qui était possible. Nous avons fourni tous les efforts possibles pour éclaircir cette tragédie. Malheureusement, on ne peut pas faire plus». La position du président tranche radicalement avec les tergiversations du gouvernement qui maintient encore le suspense. En témoigne la déclaration publiée samedi par «Assarih» dans laquelle le juge Soufiène Selliti, porte-parole du Tribunal de première instance de Tunis, indique : «Les aveux des assassins des deux journalistes tunisiens recueillis par le juge d'instruction tunisien dépêché en Libye ne constituent pas une preuve sur la mort de Soufiène Chourabi et Nadhir Ktari tant que leurs corps ne sont pas retrouvés».