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Abdelwahab Meddeb: Le cauchemar islamiste (Notes sur la dernière pièce de Jelila Baccar & fadhel Jaïbi)
Publié dans Leaders le 07 - 06 - 2013

Le samedi 25 mai, j'ai vu Tsunami, la dernière pièce de Jelila Baccar et Fadhel Jaïbi. C'était dans la salle Jean Vilar, au palais de Chaillot, Trocadéro, Paris. C'est une création qui témoigne d'un acte de résistance. La pièce nous montre sur scène le cauchemar islamiste qui hante l'imaginaire des Tunisiens. Ses mots sont inspirés du discours qui peuple le quotidien dans le pays. Et c'est assez noir pour être en continuité avec l'atmosphère qui émane de l'œuvre réalisée par le duo théâtral de Tunis. Celui-ci ne cesser de sonder les profondeurs de l'âme humaine telle qu'elle apparaît dans la réalité tunisienne et telle qu'elle s'exprime dans la langue vernaculaire du pays.
Il s'agit d'un théâtre qui tend son miroir vers la face enténébrée qui chemine au sein du continent noir qui se présente à nos pas. D'un théâtre qui nous rappelle que nous aussi ne sommes pas à l'abri des passions qui déchirent les êtres ; ni de l'intersubjectif de haute violence ; ou de la tragédie qui constitue une part de notre condition humaine. Nous aussi, sommes des êtres conscients bornés par l'Inconscient et tout ce qu'il recèle comme secrets, ruses, et autres désirs inavouables qu'il nous faut pourtant révéler. D'un théâtre qui éclaire notre part nocturne en langue arabe, tunisienne, celle par laquelle nous communiquons pour cacher tout en disant.
Cela procède d'un intersubjectif qui a déjà été investi par les Ingmar Bergman, John Cassavetes, Tennessee Williams et que nous n'avons pas à considérer comme extérieur à nous-mêmes, nous autres Maghrébins, Arabes, Tunisiens. Nous aussi, dans nos relations intimes, familiales, de couple, procédons des mêmes mécanismes de violence, d'amour/haine, de désir d'exécution du rival, des fantasmes qui peuvent parfois se concrétiser par quelque passage à l'acte. Cela instaure la tragédie, surtout lorsque le sang et le sperme circulent à l'intérieur des liens familiaux et des alliances.
Bref leur théâtre illustre les écarts psychiques qui constituent la norme des comportements humains. En somme, la folie n'épargne pas notre humanité. C'est à tout cela que nous a habitués le duo tunisois composé par Fadhel Jaïbi et Jelila Baccar à travers leur création depuis près de trois décennies.
Cette fois leur manière rencontre la matière du moment, celle de notre réalité la plus contemporaine surdéterminée par le péril islamiste. Il s'agit de la représentation d'une Tunisie menacée par une régression qui risque de la dépouiller de la mutation anthropologique qu'elle a connu. Celle-là même qui la rend justement capable de produire un théâtre comme celui de Fadhel et Jelila nous articulant avec l'universalité du mal qui loge dans l'humain, proposant des opus de langue arabe, d'idiolecte tunisien s'inscrivant dans le répertoire mondial qui rend compte des vérités tues ou biaisées dans les cultures traditionnelles et qui sont explicitement exprimées à l'horizon d'une modernité planétaire à laquelle participent aussi bien les Chinois que les Brésiliens, les Coréens comme les Mexicains, les Japonais ou encore les Nigérians, à l'instar de ceux parmi les Européens et leurs descendants Américains qui ont été les premiers à passer de l'implicite des traditions à l'explicite de la modernité symbolisé par la question du mal traité en soi, sinon comme le primat qui régit la machine humaine.
Et c'est ce mode d'expression acquis, j'entends le théâtre devenu réalité tunisienne (car le théâtre est probablement la forme d'art le plus accomplie en Tunisie), c'est cette forme d'expression qui est honnie par les islamistes. Tsunami commence par une feinte : nous entendons en exergue une diatribe contre le théâtre dénoncé comme vanité qui dévie de la voie de Dieu, diatribe usant de la rhétorique qui nous a été rendue familière par les prêches et fetwas enflammés des prédicateurs islamistes et wahhabites. Or, nous découvrons qu'il s'agit d'une citation traduite du latin dont l'auteur n'est autre que Tertullien, le docteur catholique carthaginois du IIIe siècle. Et c'est rassurant d'apprendre que l'obscurantisme nihiliste n'est pas dans l'essence de l'islam mais qu'il appartient à tout dogmatisme religieux aboutissant au fanatisme et à l'exclusivisme qui interdisent la dépense et la catharsis par les arts, particulièrement par le théâtre, cette forme qui existait au cœur de la cité antique, constituant même un rite où la communauté communiait, qui était comme un sacerdoce. Ce théâtre qui dit le mal pour le prévenir et l'expurger, pour lui trouver un exutoire, pour lui donner vie dans le virtuel afin d'en épargner le réel. Ce théâtre contre lequel a résisté la tradition islamique et qui n'a été introduit chez nous qu'au XIXe siècle lors du processus de la modernisation/occidentalisation.
La pièce de Jalila et Fadhel fait défiler sur scène les fantômes de l'islamisme, funeste procession des niqabées et des barbus en qamîs, cortège funèbre qui hante nos imaginations et dont les membres incarnent le mortifère alimentant le spectre de la guerre civile. Fantômes de la régression qui traversent la scène et agressent les personnages qui représentent l'autre société, celle qui a muté.
Deux personnalités féminines font saillie : il y a d'abord, Hayet, avocate sexagénaire, déchantée et véhémente, recluse chez elle, suivant par la télé les événements qui divisent la cité et la secouent ; il y a ensuite Amina (en partie inspirée par l'admirable et courageuse Femen), jeune femme en fugue, cherchant refuge chez Hayet, après avoir découvert par révélation divine que le vrai islam rayonne dans le principe de vie et d'amour, qu'il est du côté d'Eros alors que l'islam islamiste qui lui a été inculqué au sein de sa famille intégriste est un faux islam, un islam erroné, réduit au principe de mort, allié lugubre de Thanatos.
Ces personnages, par leur puissance, entrent en résistance contre la déferlante islamiste, contre le tsunami salafiste. Et c'est là que la pièce devient pour nous précieuse : elle anticipe les événements. Elle puise dans l'actualité pour remonter l'horloge qui sonne l'heure du futur. Elle révèle la stratégie des gens d'Ennahdha qui disposent du pouvoir aujourd'hui et qui ont mis en place une machination usurpatrice destinée à confisquer la révolution. Assimilant la révolution au vide et à la table rase, ils rêvent d'effacer la mutation anthropologique qu'a connu la société pour lui substituer leur propre ordre. Aussi, pour accomplir un tel dessein, laissent-ils en un premier temps les islamistes radicaux (les salafistes) prospérer, s'armer, installer le chaos par la violence meurtrière, par la terreur. Alors en un second temps, ils interviennent contre les islamistes extrémistes en tant qu' «islamistes modérés » (quel oxymore ! quel intolérable rassemblement de sens opposés, inconciliables dans une même expression, dans un même syntagme !). Et, en tant que tels, pour conjurer le chaos, ils interrompent le processus démocratique et instaurent l'état d'exception. C'est vers cette fin qu'aboutit le déroulé dramatique qui a pour rôle d'éveiller le spectateur, de le transformer en vigile pour qu'il mobilise ses ressources en tant que citoyen résistant, appartenant à la communauté qui veut préserver les acquis de la mutation anthropologique. Aussi aura-t-il à agir avec rigueur et vigueur afin d'entraver un tel scénario catastrophe. L'annonce du pire est destinée à empêcher l'avènement du pire.
Avec un tel spectacle, l'artiste, le créateur assume la tâche qu'il s'est assigné : celle d'être un éveilleur des consciences. Le théâtre est la catharsis, la purgation qui conjure le mal. Si le cauchemar projeté sur la scène de la représentation et de la fiction se mettait à prendre corps dans la réalité, nous n'aurons qu'à nous en prendre à nous-mêmes. Personne n'aura le droit de dire que nous n'avons pas été prévenus.
Abdelwahab Meddeb

Tags : Jaibi Baccar Tsunami Chaillot théâtre tragédie


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