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Kamel Akrout - Tunisie: A trop négliger sa jeunesse on finit par hypothéquer son avenir
Publié dans Leaders le 10 - 08 - 2020

Par Contre-Amiral Kamel Akrout - Si l'image nous a tous choqués, si le slogan est inexcusable, la situation de ces jeunes à Lampedusa refusant l'idée de revenir en Tunisie est explicable. Des tunisiens quittant le pays par barcasses entières et qui échouent sur les rivages italiens quand ils ne perdent pas la vie en pleine mer, est devenue une image récurrente à laquelle nombreux semblent se résigner. Elle est le résumé de l'échec des dix dernières années, elle est la marque du naufrage des politiques d'Etat.
Les politiciens n'ayant plus rien à offrir que des paroles, un système politique qui frêne tout essor et des gouvernements instables et sans visions ont fait perdre à l'état son autorité et à une partie de la jeunesse tout espoir en un avenir meilleur. Partir par tous les moyens est devenu le seul horizon d'une jeunesse à laquelle le pays officiel a tourné le dos. La jeunesse n'est qu'un simple slogan politique dans la Tunisie de ces dix dernières années. Il n'y a pas eu et il n'y aura pas de politique en faveur des jeunes générations car le système politique actuel est hermétique à n'importe quelle politique audacieuse, qu'il s'agisse de la jeunesse, du travail, de la santé, de la formation. Bref aucune politique publique d'avenir n'est possible à l'aune de l'architecture institutionnelle actuelle. Le constat est lapidaire, il faut l'intégrer définitivement.
Bien que la Tunisie récolte les fruits des choix de son peuple depuis 2011, l'honnêteté nous amène à préciser que cela ne date pas de cette décennie, ça couvait depuis bien avant, mais le rythme semble s'accélérer à mesure que s'approfondit la crise multiforme du pays. Chaque génération de tunisiens a payé un tribut à cette négligence, à ce désintérêt pour la force vive du pays, sa jeunesse, le garant de sa continuité et de son avenir.
Si dans l'immédiat après l'indépendance, démographie aidant, l'immigration vers l'Europe a constitué une sorte de soupape pour un pays qui peinait à offrir un avenir à l'ensemble de ses enfants, le point de rupture semble se situer au début des années 1980, la pression démographique, les errements des politiques à la fois économiques et éducatives vont pousser les jeunes tunisiens à partir. La décennie 1980 est celle des départs massifs, notamment des plus diplômés et des plus prometteurs. Empêtrée dans un modèle économique et éducatif à bout de souffle, la Tunisie a poussé, parfois volontairement ses enfants et ses cadres à partir. On n'hésitait pas à l'époque à vanter la solution, parfois maquillée en coopération technique, d'abord vers l'Europe, ensuite vers le Golfe riche et prospère. On installait de facto, la pédagogie du départ, voire même la nécessité de partir et de rester, parfois même en accordant des bourses. Une des statistiques surprenantes des années 1990, a été certainement de voir 98 boursiers sur cent envoyés aux Etats-Unis, y rester définitivement, il en est de même pour les départs en France, en Allemagne et ailleurs.
Faire partir sa jeunesse et ses cadres est devenu la politique du pays avec l'illusion d'un remplacement à l'identique des cadres ou du retour des partants nantis d'un capital et d'un savoir prometteur. Les gouvernants ont installé la pédagogie du départ à défaut de pouvoir et de vouloir agir pour la jeunesse, même nos lycée pilotes ont fini par être des pépinières de recrutement précoce au départ. Nous sommes devenus presque un pays d'aspiration au départ. Faire de bonnes études était le passeport du départ, rester était synonyme d'échec. Avec l'instauration des visas, le seul moyen pour partir à l'étranger pour une partie de la population est devenu l'émigration clandestine, la « harga », qui s'est mise en place quasi parallèlement.
Au recensement pré-électoral de 2011 on estimait à plus d'un million les tunisiens établis à l'étranger. Il faudrait sans doute non seulement affiner le chiffre et l'actualiser, car entre 2011 et 2020, le flot des départs s'est accéléré. Ce ne sont plus des jeunes étudiants, de jeunes chômeurs, ou des personnes entrant dans la catégorie du regroupement familial qui partent, c'est un pan entier des cadres du pays qui quittent avec volonté de ne plus revenir, hormis peut-être, pour une partielle retraite au pays. Ainsi, la ville de Lyon, en France a vu s'établir en quelques mois plus d'une trentaine de médecins de haut vol, le flot ne semble pas se tarir cependant.
A ces départs « légaux », il faudra ajouter les départs illégaux en usant de tous les flux vers l'Europe. A travers l'Italie, vers la Turquie-Bulgarie après un passage par la Syrie, à travers les Balkans. Petit à petit, à la contrebande de produits, s'est ajoutée celle du transfert des personnes, une évolution classique et symptomatique des enracinements mafieux qui prospèrent sur le malheur.
Le fait le plus dangereux semble être l'éclosion d'une industrie de la « harga », une mafia de passeurs s'est constituée, mais commence à monter en puissance à la faveur de la guerre libyenne qui a fait déplacer les candidats vers la Tunisie. La contrebande devenant plus difficile, plus criminelle, désormais armée et n'hésitant pas à abattre des militaires, l'immigration clandestine devient alors une activité moins dangereuse et tout autant lucrative. Fait important, c'est l'augmentation du nombre de subsahariens tentés par le franchissement illégal des frontières tunisiennes, depuis la Libye, mais chose étrange, depuis l'Algérie. Certainement la fermeture des routes vers le Maroc, vers l'Algérie et Oran et surtout la Libye les incite à se greffer sur un marché local de la « harga », tunisien, opéré par une mafia locale.
Plus alarmante encore est l'absence de toute étude sérieuse sur le devenir des migrants illégaux tunisiens en Europe, spécifiquement en Italie, en France et même dans les enclaves espagnoles au Maroc. La classe politique empêtrée dans la guerre intestine en est arrivée à oublier le peuple. Les députés des tunisiens de l'étranger brillent par leur totale absence sur ce sujet. Hormis quelques slogans, ils sont tout simplement inexistants sur un sujet qui constitue leur première prérogative.
Les rares articles de presse révèlent une situation des plus critiques. La crise de la COVID19 a mis à nu la situation dramatique de ces jeunes et a précisé quelques peu les contours et la géographie des flux. Elle a permis aussi de voir l'interpénétration des flux criminels, terroristes, de trafic de personnes dans lesquels une majeure partie des migrants illégaux peuvent échouer.
Dans une statistique des années 2017/18, le Parquet de Paris (services du Procureur) nous révèle que les tunisiens constituent le second groupe par nationalité, derrière les roumains, pour les vols à la tire et les vols avec violence dans le périmètre de Paris et de sa proche banlieue. Ce fait s'installe à partir de 2012 et s'accélère ensuite. Le même constat peut-être fait en Italie.
L'immigration clandestine ouvrait auparavant sur un espoir de légalisation par le travail, même si le fait d'occuper un travail en dehors du cadre réglementaire a toujours été considéré comme un délit. Désormais, ce processus d'intégration par le travail tend à devenir une exception. D'abord l'Europe, principal réceptacle dispose désormais du réservoir des pays de l'Est européen, dont certains font partie de l'Union Européenne et de ce fait prioritaire. Plus fondamentalement, le marché européen du travail connait depuis peu une profonde métamorphose, la crise de la Covid-19 n'a fait qu'accélérer le processus. Les emplois certes précaires que pouvaient occuper les clandestins diminuent ou bien se transforment.
Cette évolution va s'accélérer amenant certainement une fermeture supplémentaire du marché de l'emploi et une plus grande fermeté face à l'immigration clandestine. L'Europe est face à un tsunami de chômage dans les semaines et les mois qui viennent, elle sera moins tolérante pour le travail illégal. La guerre en Libye, les troubles au Moyen-Orient, le chantage aux migrants brandi par la Turquie va amener les européens à une plus grande fermeture de leurs frontières. La France et l'Italie d'un côté, la France et l'Espagne de l'autre vont opérer une nouvelle stratégie pour faire tarir la source des migrations transméditerranéennes. La politique de reconduite va se durcir et deviendra systématique, la Tunisie sera inscrite en haut de la liste des pays « safe » au sens de l'UE, pour lesquels aucune dérogation n'est possible en ce qui concerne les règles de l'asile et des migrations. Plus fondamentalement, la France ne voudra pas rééditer en 2020, l'erreur de « l'asile territorial » accordée lors de la guerre civile algérienne des années 1990 et qui avait eu pour conséquence l'entrée de quelques 200 à 300 000 algériens supplémentaires sur le sol français. La peur du terrorisme, de l'islamisme radical et plus fondamentalement la peur de l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir dans pays comme la France, l'Allemagne ou l'Italie poussera l'Europe à stopper l'arrivée de migrants maghrébins et subsahariens. Ceci a été clairement affirmé. Peut-on en blâmer l'Europe, l'Italie ou la France ? Certainement pas.
Notre classe politique est à blâmer, plus qu'à plaindre. En dix ans, l'explosion de l'immigration clandestine (et l'explosion du taux de natalité aussi) est à mettre au passif de tous les gouvernements sans exception aucune. Ce fléau est l'indicateur d'échec de toutes les politiques publiques du pays et de tous ce qui a été entrepris depuis 2011.
2011 a été un cri de révolte d'une jeunesse marginalisée, l'interprétation qu'en a fait la classe politique qui a prospéré sur l'évènement est tout autre. Les ancrages locaux de la révolte, les régions d'où sont issus les partants coïncident parfaitement. Socialement, si dans les premiers temps se sont les enfants des couches les plus déshéritées qui partaient, s'est désormais dans l'ensemble de ce que fut la classe moyenne que se recrutent les candidats au départ. Autrement dit à l'affaissement de régions entières s'ajoute désormais des candidats au départ venant de strates sociales jusqu'alors à l'abri de telles aventures. Cette évolution dramatique constitue désormais un des indicateurs d'échec des politiques mises en œuvre (on plutôt non mises en œuvre).
Une autre statistique vient percuter le « paradigme » tunisien post-2011 : la fin de ce qui fut le fleuron de la république et la source de sa vigueur : l'école. Avec 300 à 340 000 décrocheurs annuels, avec le déclassement de l'école et de l'université dans une course au rabais, le pays a préparé à son corps défendant une cohorte de futurs « harragas » ou qui seront tentés par d'autres aventures encore plus dramatiques.
Que faire?
S'il devait y avoir une épine dorsale pour une nouvelle architecture institutionnelle, s'il devait y avoir un axe principal de tout le système des politiques publiques pour les vingt prochaines années, c'est l'axe « jeunesse et avenir » qui devrait nous occuper. Tout doit découler de cet axe, qu'il s'agisse de l'aménagement du territoire, de la restructuration d'un système éducatif, du système universitaire ou celui de la santé. On ne négligera pas les autres, mais en insistant sur les générations futures on ouvre des horizons à toute une société. D'une société de la « perte de chances » nous devrions nous transformer en une « société de création de chances ».
Certes, les solutions ne seront pas opérantes du jour au lendemain, mais à côté de mesures d'accompagnement, des mesures plus structurelles doivent être imaginées:
• Des formations relais pour préparer l'adaptation au nouveau marché de l'emploi.
• La mise en place de l'alternance et du partage du temps entre formation et travail dans les domaines d'avenir.
• Une politique d'intégration sociale des jeunes : logement, santé, protection dans le cadre du travail.
A plus long terme, c'est la refonte totale du système éducatif et du système universitaire qui devient nécessaire. L'objectif n'est plus de faire des formations de « stand by » mais de formations à la carte, créatrices d'avenir pour le jeune et pour le pays.
C'est à l'aune de ces conditions que la pérennité du pays peut être garantie. La Tunisie se doit de se redresser, de se réinventer, elle l'a prouvé par le passé. Rien ne serait pire que de répéter les erreurs du passé en feignant de croire qu'elles pourraient produire un effet bénéfique. Enfin fallait-il le rappeler, quand un pays n'arrive plus à retenir sa force vive, il finira par perdre son avenir.
Contre-Amiral ® Kamel Akrout
Fondateur du think tank IPASSS (Institute for Prospective and Advanced Starategic Security Studies)
et ancien Conseiller Principal à la Sécurité Nationale auprès du Président de la République


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