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Cogiter le mal: l'expérience d'Augustin d'Hippone
Publié dans Leaders le 05 - 12 - 2022

Par Mohamed-Arbi Nsiri (Université Paris-Nanterre) - Sur la définition du mal, toutes les traditions religieuses se rejoignent, qu'elles mettent davantage l'accent tantôt sur le plan physique, tantôt sur le plan moral et tantôt sur le plan métaphysique. Mais ce qui introduit des distinctions sur ce fond universel, c'est l'explication de l'origine du mal, la manière dont cette problématique est reliée aux éléments constitutifs de ce monde et l'attitude enfin du religieux face à ce phénomène.
Les penseurs chrétiens de l'Antiquité tardive ont tenté de fournir des réponses aux questions que se posent le simple croyant concernant ce sujet. La tradition chrétienne latine de cette période présente le mal comme lié à la liberté humaine qui choisit de transgresser ses limites : en découle ainsi un péché volontaire. Cette tradition est magistralement représentée par Augustin, évêque d'Hippone, dont la première partie de sa vie est connue grâce à ses Confessions; rédigées entre 397 et 401(1). Ce livre qui se présente comme un témoignage d'une conscience qui se souvient et qui espère, et aussi une œuvre autobiographique qui retrace une partie de la vie d'Augustin marquée par des dualités permanentes.
Dans le livre II des Confessions, consacré aux tumultes et aux désordres de l'adolescence, le récit du vol des poires prend une signification particulière dans la définition augustinienne du mal. Il s'inscrit dans la tradition des récits de conversion dans lesquels l'aveu de la faute et la recherche de ses mobiles possibles obéissent à une stratégie rhétorique déterminée. Il s'agit en effet d'enquêter sur l'auteur de la faute, son objet et les circonstances qui l'ont entournée.
Cette enquête, qui devint un peu plus poussée au chapitre IV du livre II et qui ne s'achèvera qu'à la fin de ce même livre, permettra de comprendre de quelle manière un adolescent de seize ans peut en venir à commettre un larcin qui va devenir le synonyme même du mal gratuit. Comment l'oisiveté de cette année de 369 passée à Thagaste ; sa ville natale, après une interruption provisoire des études par manque de moyens pécuniaires a soumis le jeune Augustin aux influences pernicieuses de jeunes gens qui l'ont conduit à se faire plus vicieux qu'il était. Ce larcin commis est pour Augustin un mouvement d'orgueil qui le conduit à se détourner de la bonne voie pour devenir esclave de ses passions.
« Eh bien, moi, j'ai consenti à commettre un vol, et je l'ai commis sans y être poussé par la misère, mais tout simplement par pénurie et dégoût de justice, gavé que j'étais d'iniquité. Car ce que j'ai volé, je l'avais en abondance, et de bien meilleure qualité; et ce dont je voulais jouir, ce n'était pas l'objet visé par le vol, mais le vol lui-même et la transgression. Il y avait, proche de nos vignes, un poirier, chargé de fruits qui n'étaient alléchants ni par leur apparence, ni par leur saveur. Entre jeunes vauriens, nous allâmes secouer et dépouiller cet arbre, par une nuit profonde – après avoir, selon une malsaine habitude, prolongé nos jeux sur les places –, et nous en retirâmes d'énormes charges de fruits. Ce n'était pas pour nous en régaler, mais plutôt pour les jeter aux porcs : même si nous y avons goûté, l'important pour nous, c'était le plaisir que pouvait procurer un acte interdit » (Augustin, Les Confessions, II, IV, 9)(2).
Le vol des poires, loin d'être une simple peccadille, constitue à vrai dire un moment triste dans la mémoire d'Augustin parce qu'il réactualise la chute dans la concupiscence et le triomphe des désirs charnels sur le vouloir rationnel(3). L'originalité de ce texte vient du fait qu'il se présente comme le résultat d'une expérience personnelle du mal à travers lequel Augustin fait comprendre à ses lecteurs que c'est précisément parce que le mal peut être commis gratuitement, qu'il faut s'attacher à comprendre d'où il vient et pourquoi il fait partie de la philosophie de la création. Augustin essaie par la suite d'expliquer que la possibilité de commettre le mal pour le mal, et de le faire volontairement, c'est-à-dire faisant un certain usage de son libre arbitre, est fortement liée à l'expérience du péché originel.
En effet, l'attrait d'Augustin durant une certaine partie de sa vie pour le manichéisme et son recours au dualisme manichéen dans certains de ses premiers traité sont ainsi pu être interprétés comme la conséquence de sa propre expérience du mal et de la tentation durant sa jeunesse ; avant sa conversion au christianisme en 387, et comme le moyen qu'il a trouvé alors de résoudre les élans contradictoires qui l'animaient vers le bien et le mal.
Après son élévation à l'épiscopat en 395, Augustin commence à avoir un avis philosophiquement plus complexe sur le sujet en considérant l'humain comme un résultat du bien dont la puissance intérieure permet de se positionner en vainqueur contre le désir et la désobéissance ; considérés comme sources de tous les maux. Il offre la possibilité de vaincre le mal en faisant de lui une simple déficience d'être. Cette pensée semble se présenter comme une réponse indirecte aux Manichéens ; ses anciens coreligionnaires, qui conçoivent le bien et le mal comme des substances ayant chacune son bloc. Et qui représentent le mal comme une substance ontologique en soi, à laquelle on ne peut échapper qu'en menant une vie d'ascèse; celle des élus(4). Or, selon Augustin, dès lors que l'on pose l'axiome selon lequel tout ce qui est, est bon, il s'ensuit que le mal n'est rien de substantiel, mais qu'il est seulement la privation dont le dernier terme est le néant(5).
Par la suite, Augustin propose la grâce comme un moyen pour dépasser le mal. S'agissant du mal subi, la solution que propose Augustin consiste en l'interprétation de son sens. Et à la différence du mal commis, le mal subi doit pouvoir permettre au sujet pensant de saisir un appel intérieur et donc de stimuler le vrai désir qui est celui d'aimer la vérité divine. Le mal subi est dans ce cas une épreuve soit une punition qui vise le bien de celui qui le subit.
« Dieu non seulement rend bonnes les volontés des hommes, de mauvaises qu'elles étaient, et, après les avoir rendu bonnes, il les dirige vers les actes bons et vers la vie éternelle, mais encore il a tellement sous son empire celles qui conservent le statut de créatures mondaines, qu'il les fait pencher du côté où il veut, quand il veut, soit au bénéfice de quelques-unes, soit pour le châtiment de quelques autres, selon qu'il en décide par un jugement très secret certes, mais sans nul doute très juste » (Augustin, La Grâce et le Libre Arbitre, II, XX, 41)(6).
La philosophie augustinienne considère donc le mal comme nécessaire, voir comme indispensable. Sa méthodologie est celle de l'utilisation de ce mal pour en faire un bien. En d'autres termes, faire du mal un néant. Pour l'évêque d'Hippone, tant que l'humain oppose le bien et le mal, comme le fait les Manichéens, il se divise lui-même et se déchire jusqu'à s'anéantir complètement. On ne doit pas ainsi opposer une réalité qu'est le bien à un néant qui est le mal. Le bien est, et entraîne avec lui le mal qui n'apparaît que grâce au bien. Dès l'instant où l'on admet cette équation, on comprend et accepte que désormais le bien et le mal marchent ensemble dans la même direction, mais en parallèle. La domination ou la transformation du mal dépend en effet de l'engagement des personnes. Il ne suffit pas par exemple d'être un homme de bien pour acquérir la vraie connaissance. Si le bien jusqu'à alors n'a pas réussi à vaincre le mal, c'est parce qu'il n'est pas encore prêt à le faire ; problème de timing.
Pour Augustin, l'humain est un bien qui commet le mal et pourtant toutes ses insatisfactions sont la preuve de cette quête du bonheur, donc du bien. Servir le bien devint dans la philosophie de l'évêque d'Hippone une nécessité pour arriver à l'au-delà de ce duo qui est bien et du mal.
L'interprétation que nous pouvons faire de la pensée augustinienne sur ce sujet consiste non à voir dans sa philosophie un refus total de l'existence du mal mais une participation active pour le vaincre le mal via le bien véritable qui consiste à réaliser par la grâce les desseins de Dieu(7).
Mohamed-Arbi Nsiri
(Université Paris-Nanterre)
1) P. Brown, La vie de Saint Augustin (nouvelle édition augmentée), Paris, Edition du Seuil, 2001, p. 205-237.
2) Augustin, Œuvres, tome I, Lucien Jerphagnon (dir.), Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1998, p. 809-810.
3) P. Cambronne, « Le Vol des poires et les effets de Miroir dans Les Confessions de saint Augustin », in Serge Lancel (dir.), Saint Augustin, la Numidie et la société de son temps, Bordeaux, Ausonius, 2005, p. 145-152.
4) F. Decret, Mani et la tradition manichéenne, Paris, Edition du Seuil, 2005 (2e édition).
5) M. Sourisse, « Saint augustin et le problème du mal : la polémique anti-manichéenne », Imaginaire & Inconscient, 19/1, 2007, p. 109-124.
6) Augustin, Œuvres, tome III, Lucien Jerphagnon (dir.), Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 2002, p. 920-921.
7) P. Cambronne, « Unde Malum ? Augustin et les questions sur le Mal. Des Philosophies classiques à la Théologie (ou : du Labyrinthe des Confessions, VII, V-VII à la "Tapisserie" de la Cité de Dieu, V, XI) », Revue des Etudes Anciennes, 96/3-4, 1994, p. 511-535.


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