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Révolution tunisienne et crise de Covid-19: Conséquences psychologiques et évolution socio-politique
Publié dans Leaders le 06 - 05 - 2025

«Il est des bouleversements que l'histoire n'annonce pas»
Par Dr Sofiane Zribi - À l'aube de l'année 2011, la Tunisie, paisible en apparence sous l'autorité d'un pouvoir autoritaire, dictatorial, corrompu mais laïque et paternaliste en apparence (Allal, 2012), vacillait sans que nul ne pressente l'ampleur de ce qui allait advenir.
En l'espace de quelques semaines, un régime solidement installé depuis des décennies s'effondra, plongeant la population dans un changement brutal aussi soudain qu'inattendu.
Le choc fut immense. Dans un pays où l'ordre et l'autorité structuraient la vie quotidienne (Ben Achour, 2016), l'irruption du chaos, de l'anarchie, fit naître une peur sourde, viscérale, presque animale. La peur du vide, la peur du lendemain, la peur d'un monde où les repères disparus laissaient place à l'incertitude et à la vulnérabilité.
Au lendemain immédiat de la révolution, les services de santé mentale enregistrèrent une augmentation sans précédent des consultations psychiatriques (Zribi, 2011; Ben Rejeb et al., 2013). Anxiété généralisée, épisodes dépressifs sévères, troubles de l'adaptation: la Tunisie sombra dans une crise psychique parallèle à la crise politique.
Selon une étude tunisienne menée après 2011, la prévalence des troubles anxieux et dépressifs aurait connu une augmentation de près de 35% par rapport aux données antérieures (Ben Rejeb et al., 2013). Ces désordres psychiques annonçaient toute la difficulté d'une société - longtemps encadrée, sécurisée et contrainte - à s'adapter brutalement à la liberté et à l'incertitude, qui s'exprimait.
Cet événement fondateur ne fut pas qu'un tournant politique; il fut aussi une expérience psychologique collective, qui allait profondément marquer les comportements face aux crises ultérieures, notamment face à la pandémie de Covid-19.
Révolution tunisienne: impact psychologique et social
La brutalité du changement a confronté la population à une rupture brutale de l'ordre social et politique, générant des réactions émotionnelles massives et souvent désorganisées. Le stress aigu fut omniprésent dans les premières semaines alimentées par la crainte de l'effondrement de l'Etat, la peur de la violence, des pillages, des règlements de comptes et l'hypervigilance face à l'instabilité politique. Plusieurs études tunisiennes ont souligné une augmentation notable des symptômes dépressifs dans les mois suivant la Révolution, liés à la perte de repères, à l'instabilité économique et au climat d'insécurité généralisée (Zribi, 2011; Bouguerra, 2012).
Face à cette déstabilisation, la société tunisienne a également fait preuve, dans certaines franges, d'une forme de résilience collective:
• Renforcement des solidarités locales.
• Multiplication d'initiatives citoyennes pour protéger les quartiers, reconstruire les liens sociaux (Brahmi et al., 2014).
• Naissance d'une conscience politique nouvelle, même teintée d'angoisse.
La résilience, cependant, fut inégale, dépendant des ressources psychologiques individuelles, du soutien social, et des représentations collectives héritées de l'histoire récente.
Evolution des comportements sociaux et des structures communautaires après 2011
Au-delà de l'impact psychologique immédiat, la Révolution tunisienne a provoqué des transformations profondes dans les comportements sociaux et les dynamiques communautaires.
Dans un premier temps, une période d'effervescence sociale a suivi la Révolution:
• Libération de la parole publique, explosion des débats politiques dans les cafés, sur les réseaux sociaux (Chouikha & Gobe, 2015).
• Remise en question des autorités traditionnelles (police, administration, pouvoir local).
• Multiplication des associations citoyennes œuvrant pour les droits de l'homme, la démocratie, l'éducation civique.
Cependant, à mesure que l'instabilité persistait, une fatigue sociale s'est installée:
• Méfiance généralisée envers les institutions.
• Polarisation politique extrême (islamistes vs laïcs, anciens vs modernistes).
• Repli identitaire dans certaines régions marginalisées.
La société tunisienne a donc oscillé entre un mouvement d'ouverture porté par l'espoir révolutionnaire, et un mouvement de repli dicté par la peur de l'avenir et les traumatismes non élaborés. Ces dynamiques ont durablement influencé la façon dont les Tunisiens réagiraient aux crises ultérieures, comme celle de la pandémie de Covid-19, marquant la mémoire collective d'une ambivalence entre résilience, défiance et anxiété diffuse.
La réaction des Tunisiens face à la pandémie de Covid-19
En 2020, moins d'une décennie après l'onde de choc révolutionnaire, la Tunisie fut confrontée à un nouveau séisme, d'une nature différente mais non moins déstabilisante: l'irruption de la pandémie de Covid-19.
Pour une population encore marquée par l'expérience récente de l'effondrement des repères politiques, la confrontation à un danger invisible, insidieux et planétaire, raviva des mécanismes d'adaptation et de défense profondément ancrés dans la mémoire collective.
Comportements sociaux: entre solidarité, méfiance et défiance
Dans les premiers jours de l'épidémie, la réaction de la population tunisienne fut dominée par une mobilisation collective spontanée.
Des campagnes de solidarité virent le jour, des initiatives citoyennes pour distribuer des denrées, des masques, du matériel médical émergèrent dans tout le pays, rappelant les élans communautaires qui avaient suivi la Révolution de 2011 (Zribi, 2020).
Ce réflexe de cohésion solidaire témoignait d'une capacité d'organisation sociale encore vive, fondée sur les liens de proximité et l'expérience partagée de la vulnérabilité. Cependant, cette première phase fut rapidement suivie par une montée de la défiance:
• Méfiance envers les annonces officielles et les statistiques de l'Etat.
• Théories du complot circulant massivement sur les réseaux sociaux.
• Résistances aux mesures sanitaires, en particulier au port du masque et au confinement.
La mémoire du vide institutionnel vécu en 2011 semblait ici se réactiver avec force.
En l'absence d'une continuité historique stable, l'autorité publique tunisienne, loin d'incarner un rempart protecteur, apparaissait, aux yeux d'une partie de la population, comme une source potentielle d'incertitude, de manipulation, voire d'abandon (Ben Romdhane, 2021).
Cette perception s'enracinait dans un traumatisme collectif: l'effondrement soudain de l'Etat après la Révolution avait laissé une empreinte durable sur le psychisme social, une "mémoire du vide" selon l'expression de Maurice Halbwachs (1950), où l'Etat n'était plus garant de sécurité mais synonyme de vacance, de désordre et de défiance.
En termes sociologiques, cette dynamique illustre avec précision ce que Robert Putnam (2000) décrivait comme la dissociation de la confiance institutionnelle.
Dans les sociétés en reconstruction après un événement traumatique majeur, la confiance horizontale - celle qui lie les individus entre eux - tend à se maintenir, voire à se renforcer localement, à travers des réseaux communautaires d'entraide.
En revanche, la confiance verticale - celle envers les institutions étatiques - s'effondre partiellement, nourrissant un climat de suspicion, d'auto-organisation citoyenne, mais aussi parfois de désobéissance et de défiance.
Crise sur crise, la Tunisie est abasourdie!
C'est par cette phrase que Taoufik Habaieb donna le titre à un ouvrage collectif édité par les éditions Leaders. Cette Tunisie abasourdie, déboussolée, anxieuse, ayant perdu ses repères, ayant perdu confiance dans la classe politique qui la dirige (qui ne semblait pas à la hauteur du danger du Covid-19 qui menaçait la population) et qui ne savait plus comment lui parler, allait soudain rompre avec l'ordre que le 14-Janvier a donné pour s'engager dans celui qui va suivre le 25-Juillet.
Lorsque la pandémie de Covid-19 frappa la Tunisie en 2020, elle ne s'abattit pas sur un terrain vierge, mais sur une société déjà fragilisée, travaillée en profondeur par les séquelles de la Révolution de 2011.
Depuis plusieurs années, les institutions politiques tunisiennes semblaient vaciller sous le poids des divisions, des compromis fragiles et d'une désillusion citoyenne grandissante. Un Parlement fracturé, un exécutif affaibli, des querelles partisanes incessantes: tout laissait pressentir une vulnérabilité structurelle.
La pandémie n'engendra pas cette crise : elle en fut le révélateur brutal et l'accélérateur implacable. À mesure que le virus se propageait, l'impuissance de l'Etat tunisien éclata au grand jour.
Les lenteurs dans la gestion sanitaire, l'incapacité à organiser efficacement les campagnes de vaccination, la saturation dramatique des hôpitaux — notamment durant l'été 2021 — provoquèrent une onde de choc émotionnelle dans la population. Dans l'imaginaire collectif, la scène était claire : un Etat absent au moment où la menace devenait mortelle.
Ce sentiment d'abandon collectif fit ressurgir une blessure plus ancienne : celle du vide institutionnel laissé par la chute du régime en 2011. La défiance envers les autorités publiques, déjà latente, se transforma en colère ouverte.
Les Tunisiens, qui avaient jadis espéré la naissance d'un Etat démocratique protecteur, virent leurs espoirs s'effriter sous les assauts conjugués de l'épidémie et de l'incompétence politique. C'est dans ce climat de désespoir que Kaïs Saïed, élu en 2019 sur une promesse d'intégrité et de renouveau, apparut à une partie de la population comme le dernier recours.
Le 25 juillet 2021, jour hautement symbolique de la fête nationale, il suspendit le Parlement, limogea le Premier ministre, et concentra entre ses mains l'essentiel du pouvoir exécutif, s'appuyant sur l'article 80 de la Constitution. Il justifia sa décision par la nécessité de sauver l'Etat d'un "péril imminent".
Mais derrière cette décision spectaculaire, se jouait un processus plus profond:
• La peur sanitaire avait accéléré la fatigue démocratique.
• L'angoisse collective avait ravivé le besoin d'une autorité forte, capable de restaurer l'ordre.
En sociologie politique, ce mécanisme est bien connu: en situation de crise extrême, l'adhésion populaire à un pouvoir centralisé tend à augmenter (Lipset, 1959 ; Huntington, 1968).
En psychologie collective, il peut être lu comme une régression sociale : face à l'insécurité vitale, le groupe humain recherche la figure protectrice d'un chef capable de dissiper la peur. Ainsi, ce qui débuta comme une crise sanitaire mondiale se mua, en Tunisie, en une révolution silencieuse du rapport au pouvoir, prolongeant d'une manière inattendue le long héritage émotionnel de la Révolution de 2011.
Sofiane Zribi
Bibliographie
• Allal, A. (2012). Réforme politique et autoritarisme en Tunisie : entre consentement et répression. Revue internationale de politique comparée.
• Ben Achour, Y. (2016). Tunisie : Une révolution en pays d'islam. Cérès Editions.
• Ben Rejeb, A., et al. (2013). Epidémiologie des troubles psychiatriques post-révolution en Tunisie. Revue Tunisienne de Psychiatrie.
• Bouguerra, M. L. (2012). Révolutions arabes et santé mentale : Quelles conséquences psychologiques ? Maghreb-Machrek.
• Brahmi, F., et al. (2014). Résilience et société tunisienne post-révolutionnaire : une analyse sociologique. Cahiers du CERES.
• Chouikha, L., & Gobe, E. (2015). Les médias en Tunisie après la Révolution : liberté et tensions. Politique Africaine.
• Halbwachs, M. (1950). La mémoire collective. Presses Universitaires de France.
• Zribi, S. (2011). Psychiatrie et Révolution : l'autre séisme. Leaders.com.tn.
• Zribi, S. (2020). Covid-19 : La Tunisie entre deux vagues, dans le creux de l'insouciance. Leaders.com.tn.
• Ben Romdhane, H. (2021). Perceptions sociales de la pandémie en Tunisie. Revue Tunisienne de Sociologie.
• Lipset, S. M. (1959). Some Social Requisites of Democracy: Economic Development and Political Legitimacy. American Political Science Review.
• Huntington, S. P. (1968). Political Order in Changing Societies. Yale University Press


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