Maram Al masri est une poétesse et traductrice syrienne qui vivait depuis longtemps en exil, précisément à Paris. Elle avait publié de nombreux recueils de poésie, dont « Je te menace d'une colombe blanche », « Cerise rouge sur un carrelage blanc », « les âmes aux pieds nus ». Elle avait emporté des prix considérables dont les plus récents sont : Prix Dante Alighieri del Premio Laurentum, à Rome, en 2015, et prix d'Honneur, Prix de la Plume Humanitaire, Association "Vivre Ensemble, Rouen, en 2016. Cette poétesse est nourrie d'une mélancolie créatrice, fragilisée de tant de souffrance qui ont traversé sa vie. Elle transcende son mal par le truchement de la plume et de l'encre, et en crée de belles œuvres poétiques s'apparentant à des brèches donnant sur le monde. Totalement brisée, suite à la guerre civile en Syrie, Maram Al Masri réalise mal ce qui se passait dans sa chère patrie qui s'écroule et se transforme en décombre. Partageant les maux de son peuple, et prêtant serment aux victimes de la guerre, elle ne cesse d'écrire et de crier à rétablir la paix. Nous l'avons rencontrée récemment à Sidi Bou Saïd, parmi les invités du Festival International de la poésie. Avec beaucoup d'amabilité, elle nous a donné cet entretien. Guerre et Poésie, Horreur et Beauté. La poésie peut-elle guérir les maux d'un peuple Certainement, les mots guérissent les maux. C'est aussi pour cette raison que j'écris. Je considère que l'acte de l'écriture est le véritable remède pour anesthésier les douleurs de l'âme, le poème pénètre dans nos profondeurs pour calmer nos tristesses. Un poème peut libérer du carcan du mal. Dans votre dernier recueil, vous partez d'informations réelles concernant votre pays la Syrie, et vous parvenez à l'universel, à l'existentiel, de manière à toucher tout le monde... Tout à fait, c'est l'essence de la poésie qui cible le siège du cœur. Sa force magique, dont on ignore l'alchimie, réside dans sa manière d'interpeler l'Homme, d'aborder universellement un sujet local. Face à son aura, on se sent paralysés. Un poème submerge le monde entier et touche le vrai sens de l'être humain. C'est évident, puisque nous sommes les mêmes. Autant que nos conditions de vie peuvent changer, nous avons les mêmes besoins, les mêmes chagrins, la même joie, les mêmes sensations, même si c'est relatif, parce que la sensation de la beauté, ou de l'humanité se cultive. Dans un de mes poèmes, je parle d'un citoyen ordinaire, qui devient extraordinaire grâce à ses sentiments de noblesse, ses instincts d'être libre, digne, humain. Je considère que la poésie possède cette vertu de transformer les lecteurs en êtres extraordinaires, même ceux qui prétendent être insensibles, ils finiront par s'émouvoir, car un poème pénètre dans leur âme, s'incruste à leur conscience et les affine. Vos poèmes sont brefs. Comment un poème condense le monde ? J'ai toujours écrit des poèmes concentrés avec des mots simples. Je suis dans l'essentiel, Je ne cherche pas à étaler mes savoirs et mes capacités linguistiques ou imaginaires. Toute ma vie est dans l'essentiel, même si j'ai l'air d'une personne à la quête de la beauté. J'apprécie les choses simples et vraies. Justement, réussir l'équation entre le simple et le profond, ce n'est pas évident... Si on vous demande de classer votre poésie, qu'en dites-vous ? Certains critiques arabes s'interrogent à quelle école poétique Maram Al massri, appartiendrait-elle ? En réalité je ne ressemble à personne, surtout dans mes débuts, en 1982, quand j'ai publié « Je te menace d'une colombe blanche ». Beaucoup de critiques syriens affirment que j'ai créé une sorte d'école pour moi-même. Maintenant les lecteurs me connaissent, il y a beaucoup de gens qui font la même sorte de poésie. Bref, je ne sais pas ! Est-ce que l'arbre sait pourquoi elle fait ses fruits ? Je pense que c'est mon empreinte, quelque chose très biologique, très liée à mon être, c'est comme les couleurs de mes yeux. En tout cas, je suis très exigeante. Dans mon recueil «Par la fontaine de ma bouche », je trace les signes de la poésie dans ma vie, la définition d'un poète, l'inspiration, la rencontre avec un poème, ce face à face, ce mixage et cette « oxydation », c'est-à-dire comment la poésie a changé ma vie et a pu me rendre la femme que je suis dans le monde, et vice versa comment la femme que je suis, a rendu mes poèmes accessibles à tous les autres, car , je me sens que je suis l'autre, il y a seulement les visages qui changent mais nous sommes les mêmes ! Vous m'avez dit que vous étiez proposée au prix Nobel. Oui, un écrivain journaliste qui s'appelle Patrik Besson, et qui écrivait dans le point, a lu mes poèmes, et a écrit trois articles soulignant que je suis poète syrienne « nobilisable », parce que d'après lui, mon œuvre est considérable, puisque je parle de la violence sur les femmes, je défends le peuple syrien, etc. Il a pensé que l'atmosphère géopolitique pourrait favoriser ma candidature. C'est ainsi qu'il a déclenché ma candidature. Alors, Ils ont envoyé une lettre par l'université de Paris ouest. Puis un autre groupe en Italie qui s'appelle la Muse, a aussi perçu la différence dans mon écriture, et a considéré que je suis « nobilisable ». L'exil se répercute-t-il sur votre écriture ? Certainement ! Quand on a une cause, à ce moment-là, il y a quelque chose qui renforce le poème. Il y a un grand poète au Danmarque, qui après avoir écouté mon poème, est venu me féliciter, et me dire qu'il m'envie parce que j'ai une cause à défendre ; il dit que les Européens, ont tout, et qu'ils n'ont plus rien, leur poésie s'inscrit plutôt dans la recherche linguistique, elle n'est plus dans l'essentiel. Concernant la Syrie, pensez-vous que ce pays renaîtra- t-il de ses cendres ? Avez-vous de l'espoir ? Sans espoir, ce sera trop dur à supporter la vie. L'espoir permet de continuer... d'avoir la moralité, l'éthique, la bonté. Mais pas uniquement, nous avons le devoir vis-à-vis des gens qui sont morts. Ils ne doivent pas mourir pour rien, on doit donner la liberté pour la Syrie, que leurs sacrifices ne soient pas anodins. Pour renaitre, ce pays, a surement besoin de beaucoup d'amour. Les gens doivent oublier leur égo, leurs intérêts, et voir l'intérêt du grand peuple. Mais c'est incroyable ! On sacrifie tout le peuple syrien ! C'est la plus ancienne civilisation ! Pourquoi le monde est si aveugle à ses souffrances ? On ne doit pas se contenter de pleurer, de se lamenter ! On a besoin d'un vrai plan pour remettre la Syrie dans la paix et dans la dignité, parce que paix sans dignité ne marchera pas. L'être humain est né pour être libre et digne ! La mission du poète, de l'élite intellectuelle Je pense qu'il faut faire appeler à l'essentiel. Dire, dénoncer et essayer d'être la colombe de paix. Je suis contre l'écrivain, souffleur de feu, souffleur de poison...certains écrivains écrivent pour attiser la polémique, ou montrent qu'ils sont indifférents. Chacun est libre, mais il doit respecter la foi des autres ! Parce que du moment où tu dénigres l'autre, tu déchaines la guerre. La mission du poète est de garder la paix et la dignité de l'homme, et non pas d'accuser l'autre. Dans mon cas, Il y a la responsabilité qui est éveillée en moi quand j'écris un poème, je respecte toujours l'autre même si je ne le connais pas. Comme une mère quand elle prépare à manger, elle ne met pas du poison, et pour moi, mes lecteurs sont mes enfants !