«Les autorités tunisiennes semblent vraiment prédisposées à bannir la torture et bien décidées à lutter contre le terrorisme dans le respect des droits de l'homme. » C'est ce qu'a déclaré Ben Emmerson, lors d'un point presse tenu hier à l'issue de sa visite de en Tunisie. Le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l'homme et la lutte contre le terrorisme s'est, également félicité de la transparence, de l'aisance et de la fluidité avec lesquelles il a pu mener à bien sa mission. Ben Emmerson a séjourné en Tunisie du 30 janvier au 3 février afin d'évaluer la mise en œuvre de la nouvelle loi antiterroriste de 2015 ainsi que la nouvelle stratégie nationale contre l'extrémisme et le terrorisme adoptée en novembre dernier mais non encore dévoilée. Le rapport que présentera l'expert en octobre prochain devrait être examiné lors de la 34e session du Conseil des droits de l'homme qui se tiendra en mars 2018 à Genève. Face aux journalistes, le rapporteur onusien a salué l'engagement concret des dirigeants tunisiens à lutter contre le terrorisme, aussi bien à travers des mesures de sécurité que par des actions ciblées dans les domaines social, économique, judiciaire et des droits de l'homme. Il a appelé en outre le gouvernement à dévoiler sa stratégie nationale de lutte contre le terrorisme et à affecter à chaque ministère un plan d'action clair et précis avec des objectifs et des échéances à respecter. « La lutte contre le terrorisme ne peut se faire de manière individuelle ou unilatérale », a-t-il déclaré. Ajoutant : « Chaque organisme gouvernemental doit être mis à contribution pour un résultat efficient et pérenne. » Des réserves Tout en félicitant la Tunisie des avancées positives dans le domaine des droits de l'homme, notamment dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, l'expert onusien n'a pas manqué d'émettre quelques réserves sur certains points. Il a par exemple soulevé le fait que plus de 1500 individus sont actuellement accusés d'actes terroristes alors que seuls 10% d'entre eux ont été jugés et condamnés. Les autres sont incarcérés depuis longtemps en attendant leur procès. Ayant visité la prison d'El Mornaguia, Ben Emmerson s'est également dit inquiet de l'encombrement et des conditions de détention. Il a ainsi déclaré que cette prison est à environ 150% de sa capacité. Il a également pointé du doigt l'isolement cellulaire prolongé des prisonniers condamnés pour terrorisme, qualifiant cette mesure de traitement inhumain et dégradant. De même, il a évoqué la persistance de cas de torture, malgré l'engagement de la Tunisie à éradiquer toute forme de maltraitance. « Je confirme que les autorités tunisiennes ont pris les mesures juridiques nécessaires pour bannir la torture mais la réalité du terrain et les failles du système font que les dérapages existent toujours. C'est pourquoi j'insiste sur la nécessité d'introduire des réformes pour garantir la présence d'avocats dès la première heure d'incarcération et non pas après 48 heures comme indiqué dans la législation actuelle. De même, il faudrait installer des caméras dans les centres de détention et d'interrogatoire. », a-t-il encore précisé. Par ailleurs, il s'est inquiété du nombre d'assignations à résidence, soit 150 actuellement, ainsi que de nombreuses autres restrictions, ordonnées par le ministère de l'Intérieur, conformément au décret de 1978 régulant l'Etat d'urgence et qui est en cours d'examen. Il a encouragé la mise en place d'un contrôle judiciaire de ces ordonnances qui permettrait un juste équilibre entre les questions de sécurité et la primauté du droit humain. Ben Emmerson conclura toutefois sur une note positive et encourageante, déclarant : « La Tunisie est devenue un phare d'espoir dans la région. Ses efforts louables dans la prévention de l'extrémisme violent et la lutte contre le terrorisme devraient être fondés sur les droits de l'homme et servir de modèle pour la région et au-delà. » Rym BENAROUS 2011 – 2016 : Cinq ans et des pas de géant La visite de Ben Emmerson intervient 5 ans après celle de son prédécesseur, Martin Scheinin, qui avait séjourné en Tunisie alors que la flamme de la révolution était encore vive et le paysage sociopolitique loin d'être stable. Dans son rapport portant sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, examiné en mars 2012 à Genève, l'expert onusien avait noté que l'ancien régime utilisait les lois antiterroristes pour renforcer la dictature, arrêter des manifestants pacifiques et étouffer toute opposition politique. Toujours d'après l'ancien rapporteur spécial, la lutte anti-terroriste serait dans de nombreux cas un prétexte pour justifier de graves violations de droits humains et ces dérives ne sont pas des cas isolés. Il avait également appelé à une révision globale de la définition juridique du terrorisme, de l'incitation au terrorisme et des crimes qui y sont associés. Enfin, il avait plaidé en faveur de l'adoption de garanties efficientes pour le respect des droits de l'homme et de mesures adéquates contre la détention secrète en Tunisie. La mission de Ben Emmerson intervient donc dans un tout autre contexte, alors que la Tunisie a quasiment achevé sa transition démocratique et connaît depuis les dernières élections une certaine stabilité politique mais pas sociale. La Tunisie a également connu durant les dernières années de sanglants événements terroristes qui ont placé la lutte antiterroriste au cœur des débats et des préoccupations. Depuis, une nouvelle loi a été adoptée, certes dans la douleur et après d'innombrables pourparlers et une stratégie nationale a été mise en place pour appuyer les efforts de l'Etat dans cette guerre sans merci. C'est dans ce cadre que s'est rendu Ben Emmerson en Tunisie, à l'invitation du gouvernement. Lors de sa visite, le rapporteur spécial de l'ONU a rencontré de nombreux officiels, dont les ministres de la Justice, de la Défense et celui chargé des relations avec les institutions constitutionnelles, la société civile et les droits de l'homme. Il a également rencontré des parlementaires ainsi que des membres de la Commission nationale de lutte contre le terrorisme, de la Commission nationale pour la prévention de la torture, du Haut comité des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de la Commission nationale pour la prévention de la torture et de la Commission Vérité et Dignité. De même, Ben Emmerson s'est entretenu avec des journalistes, des représentants de la communauté internationale, des procureurs, des juges d'instruction du Pôle judiciaire contre le terrorisme, des avocats, des universitaires et des ONG. Il a en outre visité la prison d'El Mornaguia ainsi que le centre de détention d'El Gorjani et y a rencontré des présumés terroristes et des condamnés pour actes terroristes afin de s'enquérir des conditions de leur détention.