A l'ONU, le Conseil de sécurité s'est réuni en urgence ce vendredi 7 avril à la demande des Boliviens et des Russes pour discuter des frappes américaines. Les échanges ont été très vifs entre les Etats-Unis et la Russie sur la question de la légalité de cette intervention. Les Américains ont prévenu qu'ils étaient prêts à aller plus loin. « Les Etats-Unis ont pris une décision très mesurée la nuit dernière. Nous sommes prêts à en faire plus, mais nous espérons que cela ne sera pas nécessaire. Il est temps pour toutes les nations civilisées de stopper les horreurs en Syrie et d'exiger une solution politique. » Loin de calmer le jeu, les Américains par la voix de Nikki Haley leur représentante à l'ONU ont donc envoyé une nouvelle mise en garde à Bachar el-Assad et à son allié Russe. Une partie du débat hier s'est d'ailleurs porté sur la légalité de cette intervention américaine sans aval de l'ONU. Les Russes la jugent illégale et sont soutenus sur la question par leur partenaire bolivien. « Maintenant, les Etats-Unis pensent qu'ils sont les enquêteurs, les avocats, les juges et les bourreaux. Cela n'a rien à voir avec le droit international.» Un véritable engagement américain en Syrie attendu La grande majorité des diplomates n'a pas voulu polémiquer sur la question jugeant la réponse américaine légitime. Mais ils attendent maintenant un vrai réengagement américain pour soutenir le processus politique en Syrie. Un sentiment partagé par les habitants de Khan Cheikhoun, la ville gazée cette semaine lors de l'attaque chimique attribuée par les puissances occidentales au régime de Damas. S'ils accueillent favorablement les frappes américaines, ils attendent désormais beaucoup plus. « Les frappes américaines contre le régime nous ont procuré un sentiment de joie, témoigne Zaina Aoussadji, militante l'opposition à Kahn Cheikhoun. On se dit finalement il y a peut-être quelqu'un qui voit notre souffrance. Ces frappes ont été une bonne surprise. Jusque-là, on nous a habitués aux promesses mensongères, aux paroles en l'air qui ne sont jamais suivies d'actes concrets. Ces frappes américaines ont neutralisé 14 chasseurs bombardiers du régime. Plusieurs pistes de décollage et la tour de contrôle de la base militaire Al-Chaayrate ont été également détruites. Mais à la suite de ces frappes américaines, le régime a bombardé la ville de Hich ici dans la province d'Idlib. Il ne faut pas que cette attaque américaine contre le régime soit une simple attaque symbolique. Si c'est juste ça, rien ne changera en Syrie. » Le message de Trump La réponse de l'administration américaine à l'attaque chimique de mardi n'aura pas été longue à attendre. Pour Philip Golub, spécialiste des Etats-Unis et de géostratégie, Donald Trump se démarque de Barack Obama en agissant de la sorte et adresse un double message. « Il cherche à montrer qu'il est à l'opposé de son prédécesseur quand il s'agit d'utilisation de la force. Il essaie de montrer qu'il y aura une politique musculaire militaire américaine à l'international (...) que les Etats-Unis agiront unilatéralement quand il le faut, quand leurs intérêts leur semblent bons. Le deuxième message est destiné à l'électorat américain, car l'administration Trump est embourbée dans des crises politiques multiples. C'est un message de fermeté et de démonstration de la volonté de cette administration d'aller de l'avant au niveau international. Le problème dans tout cela, c'est qu'il n'y a pas de plan pour après », explique Philip Golub. Les partisans de Trump divisés sur les frappes en Syrie Pour nombre de partisans de Donald Trump, la décision du président de bombarder une base syrienne, en réaction à l'attaque chimique contre un village du nord-ouest, démontre la force et la détermination du candidat qu'ils ont choisi en novembre. Au fil d'une dizaine d'interviews avec des électeurs de Trump, plusieurs concèdent que cette première action militaire directe contre le régime syrien de Bachar al Assad est bien loin du message d'»Amérique d'abord» martelé au cours de la campagne présidentielle. Mais si des soutiens d'extrême-droite du président ont dénoncé les frappes, la plupart de ses partisans jugent qu'elles ne représentent en rien un recul sur sa promesse de faire passer les Etats-Unis en premier. «J'adore, j'adore, j'adore. Il a dit dès le premier jour qu'il n'accepterait pas ces absurdités», estimait Anthony Calvanese, un contremaître de 28 ans, interrogé à Staten Island, dans l'Etat de New York. «Il faut qu'il commence à montrer notre supériorité dans le monde.» La décision de Trump représente un volte-face par rapport à ses discours de campagne. En 2013, après une attaque chimique qui avait fait des centaines de morts dans le secteur de la Ghouta, près de Damas, l'homme d'affaires avait exhorté Barack Obama à s'abstenir de toutes représailles. Il a depuis estimé que son prédécesseur démocrate avait alors gâché une «grande occasion» de résoudre la crise. Ces incohérences ont paru irriter certains de ses plus fervents soutiens dans les milieux d'extrême-droite. Paul Joseph Watson, éditeur du site américain Infowars dont les articles promeuvent des théories de la conspiration, estimait sur Twitter que le président américain avait «quitté le train Trump». Richard Spencer, dirigeant suprémaciste blanc autoproclamé, qualifiait la décision de Trump de «trahison», jugeant qu'elle signait la «fin de l'Amérique d'abord». «Défendre des principes» Face à eux, plusieurs électeurs de Trump continuent de faire confiance au président pour tenir ses promesses. Pour Todd Recknagel, responsable d'un fonds d'investissement privé à Panama City Beach, en Floride, les frappes montrent que le président peut adapter sa stratégie aux événements. «J'apprécie le fait qu'il ne soit pas à ce point là tourné vers l'intérieur, qu'il puisse défendre des principes sur une question comme la Syrie», déclarait-il au téléphone. «Reagan n'aurait pas toléré ça non plus», ajoutait-il en référence à l'ex-président républicain, premier auteur du slogan «Make America Great Again», révéré par l'establishment républicain. Certains électeurs mettaient en valeur la nécessité d'agir, évoquant l'horreur de l'attaque au gaz de Khan Cheikhoune, qui a fait au moins 70 morts dont de nombreux enfants. D'autres jugeaient que Trump, en cohérence avec l'image de fermeté qu'il cultive, réaffirmait la place de première puissance mondiale des Etats-Unis. Mais pour d'autres enfin, le bombardement de la base militaire syrienne reste contraire au message de campagne de Trump. «Cette frappe est une perte de temps et d'argent américain», estimait Anthony Sage, un militaire à la retraite de 42 ans ayant servi en Irak et en Afghanistan.» Nous ferions mieux de prendre soin des gens ici, en Amérique», ajoutait-il depuis le Texas. Certains soutiens du président se disaient partagés. «Dans le meilleur des cas, ce serait un message fort pour dire qu'une ligne rouge a été franchie», estimait Melanie Groves, entrepreneure de 39 ans de l'Illinois. «Dans le pire des cas, il y a beaucoup de théories du complot qui estiment qu'on se dirige vers une Troisième Guerre mondiale». USA-IRAN-SYRIE: Téhéran pour une enquête indépendante Les terroristes se réjouissent des frappes aériennes américaines en Syrie, a déclaré hier le président iranien, Hassan Rohani qui a demandé l'ouverture d'une enquête indépendante après l'attaque chimique contre un village du nord-ouest de la Syrie. «L'homme qui gouverne désormais l'Amérique avait coutume de dire qu'il souhaitait combattre les terroristes (...) mais tous les terroristes de Syrie saluent à présent l'attaque américaine et s'en réjouissent», a déclaré Hassan Rohani à la télévision d'Etat iranienne. «Nous réclamons qu'une commission d'enquête impartiale soit créée pour déterminer d'où venaient ces armes chimiques», a-t-il ajouté, évoquant l'attaque de Khan Cheikoune. Ces frappes, lancées par le président Donald Trump au nom de l'intérêt «de la sécurité nationale», ont été ordonnées trois jours après l'attaque au gaz contre Khan Cheikhoune, dans le nord-ouest de la Syrie, qui a fait au moins 70 morts, dont de nombreux enfants.