La rue a-t-elle le droit, et peut-elle remplacer les institutions ?!... En régime dictatorial et autoritariste, la rébellion est perçue comme l'unique forme restante de la contestation populaire et donc « légitime » du fait du blocage institutionnel et l'appropriation de l'Etat par une junte, une oligarchie ou tout simplement une « mafia » politique corrompue. Est-ce, aujourd'hui, encore le cas en Tunisie !? Difficile à croire et à avaler quand on voit l'énorme changement qualitatif réalisé depuis la Révolution et sanctionné par le Prix Nobel de la paix, au niveau institutionnel, la séparation des pouvoirs chère à John Locke et Montesquieu, le multipartisme consacré par le Droit, la Constitution et la pratique politique, à telle enseigne qu'un parti que la terre entière classerait « hors la loi », comme « Hezb Attahrir » (le parti de la libération... sic) est non seulement toléré en Tunisie, mais reconnu légalement, alors qu'il a pour objectif avoué de démolir l'Etat républicain pour le remplacer par le « califat » de toutes les ténèbres obscurantistes. Alors, de quel droit appelle-t-on à la « désobéissance civile » et à manifester dans les rues en bloquant l'ensemble des activités économiques et humaines ! Peut dire, oui, au nom d'une opposition à une loi de réconciliation nationale ?... Mais, la démarche est-elle légitimée par l'inexistence d'un débat contradictoire au Parlement, où toutes les parties sont élues aussi bien la majorité du gouvernement que l'opposition minoritaire... là encore, c'est dur à avaler et à accepter au vu des débats houleux en commissions et lors des plénières transmis par tous les médias et qui confirment que la jeune Démocratie tunisienne résiste bien, comme l'a si bien témoigné le ministre français de la Défense, en visite, dernièrement en Tunisie, et fonctionne parfaitement selon les normes et les usages des démocraties politiques les plus anciennes du globe. Alors, quel est le motif qui pousse des partis et des personnalités politiques à vouloir détruire le processus institutionnel et politique, qu'ils ont participé à créer de toutes pièces, puisque anciens membres représentatifs à l'ANC ! Pire encore, ces mêmes partis et personnalités ont exercé le pouvoir pendant des mois et des années à l'intérieur même de cette mécanique de la 2ème République en gestation, profitant de tous les avantages institutionnels du pouvoir et opérant parfois des changements politiques et surtout identitaires que les Tunisiens rejetaient et qu'ils ont sanctionné lors des dernières élections législatives et présidentielle de 2014. La pression de la rue Alors, on est démocrate ou on ne l'est pas... Et c'est là où le bât blesse ! Ces nostalgiques du pouvoir perdu à la loyale par la volonté du peuple lors d'élections libres saluées par le monde entier comme transparentes et honnêtes, n'ont pas digéré leur défaite « démocratique » et du coup, veulent revenir à la case départ : « Le pouvoir révolutionnaire » par la pression de la « Rue » et non à travers les institutions et les élections censées être le seul moyen légitime du changement politique... en régime démocratique, bien sûr ! Les auteurs de science politique les plus désintéressés et les plus rationnels auraient crié au « coup d'Etat » contre le système démocratique lui-même et pas seulement contre l'Etat et le gouvernement. Faut-il rappeler qu'en système démocratique la seule sanction légale et légitime pour changer les règles du jeu politique et institutionnel et les gouvernements, c'est les élections ! Vouloir se dérober au scrutin et aux suffrages populaires c'est vouloir opérer un coup de force contre la volonté du peuple, qu'on veut manipuler et faire descendre dans la rue, profitant de la crise sociale ou économique et de la détresse de certaines couches de la population dans certaines régions. A ce rythme, il faudrait peut-être aller au référendum et poser aux Tunisiennes et aux Tunisiens la question suivante : « Voulez-vous ou non vivre en Démocratie institutionnelle » ou voulez-vous vivre dans l'anarchie et le « gouvernement » (sic) de la rue... Ou, enfin, une question qui demeure très vivace et qui exprime le désarroi des citoyens face aux aventuriers politiques et aux mercenaires qui cherchent à capturer le pouvoir comme un gibier par tous les moyens, y compris la « Rue » et la désobéissance civile : « Voulez-vous un régime autoritaire à nouveau » ! La réponse risque de déplaire à beaucoup d'amateurs politiciens qui ne connaissent pas les peuples et qui ne savent pas que la priorité des priorités pour les citoyens, c'est la sécurité et la stabilité avant même la liberté et la justice ... ! Ce n'est pas moi qui le dit, c'est Alexis de Tocqueville, auteur de la « Démocratie en Amérique » en 1830, déjà ! Faisons le pari d'un référendum virtuel avec ces questions, sous forme de sondage et je vois déjà, mon ami, Hassen Zargouni, de Sygma-conseil, vous donner lecture du résultat... Un « oui » massif pour l'Etat autoritaire, à nouveau... ! Quel gâchis... Quel naufrage pour la classe politique tunisienne, en délire, après six ans de « Révolution » laborieuse... mais qu'on veut faire avorter ! Y a pas de quoi être fier ! K.G