Peut-on planifier le développement dans un climat de crise de confiance profonde entre les partenaires économiques et sociaux et les bras de fer à longueur de semaines, de mois et d'année ! Côté UGTT, c'est le rouleau compresseur depuis la Révolution. Aucun gouvernement n'a eu de répit et aucune activité n'a échappé à la fièvre revendicative sociale aiguë. Et ça continue ! On ré-annonce une grève dans le bassin minier de trois jours alors qu'on croyait le phosphate sur les rails après des concessions successives du gouvernement et des compagnies en charge de la production et de la commercialisation. On ré-annonce une grève des instituteurs la énième fois parce qu'elles ne se comptent plus, à tel enseigne que nos mômes – élèves, vont bientôt soutenir à leur âge des thèses de doctorat sur « la grève des enseignants » ! que de temps perdu, que de harcèlement, que d'hésitation, côté pouvoirs publics ! A se demander, si dans ce pays on a encore la capacité de clore un dossier vécu comme une plaie saignante parce qu'ouverte ! Côté UTICA, la tentation est différente, celle du rejet de la menace face à une autre grève « générale », (S.V.P... comme il se doit), dans le grand Tunis. Les hommes d'affaires, ne sont pas tous les « boss » de groupes puissants qui peuvent résister à des débrayages répétitifs et d'envergure. Beaucoup de commerçants, de chefs de petites et moyennes entreprises (P.M.E) et même des « Sta » comme les nomment les Sfaxiens, cadres et agents de maîtrise dans les petits métiers mais de moyens modestes, n'arrivent plus à joindre les deux bouts à cause de la prolifération du « parallèle » et du manque de liquidités chez les consommateurs eux-mêmes et les promoteurs de petits chantiers. Par conséquent, ce que les uns considèrent comme une réduction du pouvoir d'achat des travailleurs (seulement) se trompent parce que la crise, ça fait plus de cinq ans, a touché tout le monde, tous les secteurs d'activité et toutes les catégories sociales, y compris les classes moyennes nombreuses qui dépendent structurellement de l'UTICA et qui y sont fédérées. J'ai relaté l'humour, quelque part, amer à la britannique d'un chef d'entreprise, qui conseillait aux commerçants, artisans et chefs de petites entreprises ou ateliers familiaux, d'adhérer tout simplement à l'UGTT (seule) capable, en ce moment, d'imposer sa vision de la société et de l'Etat et de défendre leurs intérêts, puisqu'ils vivent eux-mêmes une crise profonde et arrivent, difficilement, à maintenir leurs activités en vie ! C'est pour dire que tout le monde nage dans le même lac celui des temps difficiles pour tout le monde... l'Etat en tête, et qu'on a l'impression que chacun tire de son côté une corde au bord de la rupture et qui risque de naufrager l'ensemble du pays et du peuple. Encore une, les Tunisiennes et les Tunisiens à bout de souffle espère un arbitrage des Présidences de la République et du Gouvernement pour signer et faire accepter un « deal » global et durable au moins pour quelques années, le temps que le pays, son économie et son climat d'affaires reprennent des forces. Mais, là encore, le bât blesse, parce que depuis la Révolution, la fameuse démocratie conquise et pour laquelle nous recevons tous les prix d'honneur de la planète Terre, a été accompagnée (naturellement), d'un affaiblissement de l'Etat. Que voulez-vous, on ne peut pas tout avoir... la démocratie, les Droits de l'Homme et l'Etat fort, car, celui-ci est assimilé au système autoritaire et « despotique », vécu précédemment. D'ailleurs, le peuple tunisien qu'on prend pour « taré », à tort évidemment, a tout compris. Le dernier sondage de mon ami Hassen Zargouni de « Sygma Conseil », a révélé que 80% des Tunisiens sont prêts à céder ou mettre en veilleuse certaines de leurs libertés, nouvellement conquises, pour assurer la sécurité et vaincre le terrorisme. Nous voilà, en plein, chez les doctrinaires du « Contrat social » de Hobbes qui recommandait l'Etat fort (ou le Léviathan), John Locke qui, lui aussi, admettait la nécessité d'un pouvoir coercitif minimal, et Alexis de Tocqueville qui donnait la prééminence à la sécurité aux dépens de la liberté et même de la Justice. Vous voyez combien ce peuple tunisien est grand et lucide dans sa grande majorité, alors qu'il est tripoté de toute part par les opportunistes en tout genre ! Nous sommes confrontés, aujourd'hui, et de plus en plus, à un désir de changement du modèle économique et social. Les uns, comme l'UGTT et certains partis de la gauche radicale trouvent l'actuel modèle trop libéral et veulent remettre en selle « l'Etat providence » l'Etat employeur, investisseur, industriel, commerçant et même agriculteur. C'est un peu une nostalgie des années 60 du temps du ministre Ben Salah, et la République des « fonctionnaires ». Les autres, comme l'UTICA, et certains partis libéraux, comme Ennahdha, Nida Tounès, Afek ou El Watani El Hor, trouvent ce même modèle largement dépassé, incapable de relancer l'économie et l'investissement, parce que trop bureaucratique, contraignant, et très peu attrayant comparé à ceux de nos concurrents régionaux comme la Turquie ou le Maroc, sans parler des dragons de l'Asie du Sud-Est et de la Chine, elle-même, qui a répudié la « dictature du prolétariat » et l'économie dirigiste étatisée. Maintenant, il va falloir choisir entre l'amer (El Mor, en arabe) et le plus amer (Al Amar... en arabe) ! Soit un modèle « libéral » corrigé par une meilleure distribution des fruits de la croissance, mais qu'il faut créer et pour cela on ne peut pas passer sa vie à faire des grèves. Soit un modèle « socialiste » à réinventer, parce que toutes les démocraties sociales d'Europe, qui nous est proche, ont toutes viré vers le « social-libéralisme » à l'image de l'Allemagne, de l'Angleterre ou de la France de MM. Mitterrand et Hollande. Le modèle préconisé par les forces de la gauche extrême en Tunisie et même une partie des cadres de l'UGTT, n'est plus opérationnel, sauf si on s'oriente vers une économie dirigée à nouveau par l'Etat avec tout au plus une tolérance minimale au capital. Morale de l'Histoire : La Tunisie aspire à un « plus d'Etat » pour assurer la sécurité, vaincre le terrorisme et concrétiser la stabilité politique et sociale. Mais, un Etat capable d'appliquer les lois à tout le monde, y compris, les forces sociales et politiques, donc, forcément coercitif, quelque part. Là, je vois déjà « nos » Watchistes crier au « retour » de l'ancien régime et au despotisme de l'Etat autoritaire ! C'est vrai, aussi, que nos « Watchistes » ont le beau rôle, car la critique est aisée, et l'art est difficile et ils auraient compris que, pour faire une omelette... on doit casser des œufs ! Encore une fois, gouverner, c'est aussi devoir prendre des décisions parfois impopulaires. Regardez M. Hollande, le Président de la grande Nation démocratique française. Il a imposé le couvre-feu et l'Etat d'urgence, donc, une limitation des libertés pour faire face au terrorisme et à l'obscurantisme ! Mais, les Tunisiens ont, pour première caractéristique, de vouloir le beurre et l'argent du beurre... Vivre et jouir de la prospérité... sans travail ! K.G