Etat d'urgence, couvre-feu, opérations préventives plus déterminées, résidence surveillée pour ceux qui reviennent de Syrie avec le sentiment d'avoir perdu le terrestre et l'au-delà, toutes ces mesures annoncées et appliquées par le gouvernement sont bonnes mais restent limitées dans une guerre « totale » contre le terrorisme ! Le problème est plus profond et s'inscrit, désormais, dans la durée depuis que nous avons plébiscité par la Révolution de 2010-2011, le système démocratique et ses exigences. En effet, la règle universellement connue et prouvée, c'est que la démocratie s'accompagne toujours d'un « moins d'Etat » et d'un déficit de l'autorité publique. Depuis les chartes anglaises de 1215, ça fait, quand même, huit siècles, le régime parlementaire naissant s'est accompagné d'une certaine « usure » des pouvoirs absolus et de droit divin du Roi. C'était du « donnant-donnant » ou du « gagnant-gagnant ». Le Parlement donnait l'allégeance au Roi et en échange, le Roi se devait de respecter les lois édictées par le Parlement. Ce système qui a donné la première moulure du régime démocratique pluraliste a consacré la séparation des pouvoirs et est allé jusqu'au changement des vocations des gouvernants. Le Roi règne et ne gouverne pas et le gouvernement applique les lois sous le contrôle et du Parlement et des cours de justice, habilitées à juger la bonne application des lois. Mais, le système démocratique avec l'instabilité et les troubles sociaux s'est très vite ravisé pour compenser ce « moins d'Etat et d'autorité par la nécessité d'imposer l'application des lois ou ce qu'on désigne par « l'Etat de droit ». Voilà qui est clair, la liberté et la démocratie ne sont ni l'anarchie, ni le pouvoir de la Rue, ni la pagaille et les rapports de forces qui permettent « aux vainqueurs » dans les élections de s'approprier l'Etat. La démocratie c'est une combinaison entre les trois pouvoirs, où le gouvernement gouverne, le Parlement légifère et la justice contrôle. Evidemment, nous avons été largement inspirés par le processus tout au long de cette longue et harassante transition, sauf que la mécanique mise en place n'est pas tout à fait conforme à l'originale. Je m'explique. Pour la première fois, dans l'Histoire universelle des démocraties naissantes, nous sommes gouvernés par les forces « minoritaires » qui ont substitué « la Rue » au système institutionnel. Au Parlement même, censé veiller à la suprématie de la Constitution et des lois, on entend souvent d'honorables députés, menacer le pays et la société de « marches », de « grèves », de « sit-in », etc, etc.., si l'Etat ne répond pas à leurs exigences ou celles de leurs régions ou celles de leur tissu associatif, syndical ou partisan ! C'est comme si l'Etat vivait un dédoublement de pouvoirs, ceux « légitimés » par les Institutions et ceux « légitimés » par la Rue ! Aujourd'hui, le problème fondamental du pays c'est sa capacité, ou non, d'appliquer les lois « fabriquées » par les Institutions. Notre Démocratie est parfaite pour défendre les droits de l'Homme, la présomption d'innocence pour les terroristes et leurs complices (très nombreux, il est vrai... chaque jour, la T.V nous projette à la figure toutes les armes saisies des cellules dormantes), mais elle est impuissante à appliquer la loi « anti-terroriste », votée comme pour « décorer » les codes et autres traités de la jurisprudence tunisienne ! Mme Laâbidi présidente du Syndicat des magistrats a souvent martelé, et à juste titre : « La justice et les juges appliquent les lois et non les ordres ou la volonté des gouvernants... » et elle ajoute : « Si vous estimez que les lois sont inopérationnelles, vous n'avez qu'à les changer » ! Voilà qui est bien dit et qui confirme l'indépendance de la justice tunisienne et pas seulement, à mon humble avis, depuis la Révolution. Mais, alors, où est le problème ?! Il se situe, tout simplement, dans ce que les juristes, depuis Aristote, soit 3 siècles avant Jésus Christ, l'acceptation des lois et leur applicabilité ! Le Stagirite, qu'était Aristote, disait souvent à ses élèves : « Quand les lois sont mauvaises, personne ne les applique » ! D'où cette question, tout aussi brûlante : Pourquoi nos lois sont-elles si mauvaises et pourquoi on n'arrive pas à les appliquer !? Là, il faut revenir au rapport des forces politiques, et au résultat des dernières élections. Ce qu'on constate, c'est que la courte majorité de Nidaa Tounès, parti modernisant, a été totalement submergée par tous ces courants de l'Islamisme politique qui font partie de la coalition au pouvoir et dont la culture identitaire, légitime, de fait, le « laxisme » au niveau de l'application des lois et mesures anti-terroristes. Ceci dit, c'est l'exigence de « stabilité politique » qui a imposé le « consensus » ou « Attawafok » que nous vivons actuellement, mais, à telle enseigne que le prix de la « stabilité » est de plus en plus lourd à supporter. Aujourd'hui, il n'est pas suffisamment étanche et il permet les trous d'air «terroristes» qu'on n'arrive pas à éradiquer par les lois ! Le morale de tout cela, c'est que le système idéal et parfait qui aurait été d'assurer la « stabilité politique » consensuelle et de vaincre le terrorisme à la racine n'est pas opérationnel en Tunisie, aujourd'hui ! M. Béji Caïed Essebsi, homme d'Etat et de grande expérience, l'a bien compris. Son dernier discours à la Nation le confirme et un peu la mort dans l'âme, il nous a incité à accepter « la stabilité consensuelle », avec tous ses aléas sécuritaires ! Que voulez-vous, nous sommes un pays et un peuple musulman et il n'est pas facile de limoger un Imam extrémiste et même takfiriste, et encore moins, de dissoudre des centaines, qui sait, des milliers d'associations, dites « caritatives », pourtant, financées par « l'occulte »... parent proche du terrorisme ! La faute n'est ni celle du gouvernement et, encore moins, celle du Président de la République. La faute est en nous, qui avons voté pour le « consensus » de la stabilité comme première exigence après les dérapages de la Troïka ! Maintenant, l'exigence de la lutte contre le terrorisme est-elle devenue prioritaire par rapport à l'exigence de « stabilité »... Je ne le pense pas ! Car, pour cela, il faut trouver la clé de « l'applicabilité » des lois et surtout de la loi anti-terroriste. Mais, cette clé n'est ni approuvée, ni consentie par le « consensus de la stabilité » actuelle. Attendons des jours meilleurs ! K.G