Le projet de loi sur la réconciliation nationale économique et financière est revenu, hier, sur la table à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour être discuté, au sein de la Commission de la législation générale avant de décider de son passage lors d'une prochaine séance plénière pour examen et éventuelle adoption d'ici la mi-mai au plus tard. Ce projet, initiative du président de la République, Béji Caïd Essebsi depuis 2015, soulève une polémique monstre et rencontre des réticences majeures de la part des partis de l'opposition et d'une bonne partie de la société civile sans oublier l'opposition catégorique de l'Instance Vérité et Dignité (IVD), plus particulièrement de sa présidente Sihem Ben Sedrine qui avait été à l'origine d'un arbitrage devant la Commission de Venise. Après tant de tergiversations, des flux et des reflux avec, notamment son retrait pour y apporter les correctifs nécessaires, le projet de loi a été ramené devant les députés. Cette fois-ci, la présidence de la République semble déterminée à mettre le paquet pour faire passer cette loi avec une campagne, notamment, médiatique et politique. En effet, un document fuité de la présidence fait ressortir l'existence d'un véritable plan et d'une stratégie pour défendre ce projet de loi et le faire, enfin, passer. C'est ainsi que toute une armada de conseillers auprès du président de la République, conduits par le directeur du cabinet présidentiel, Slim Azzabi et la participation de Noureddine Ben Ticha et Saïda Garrach, se sont déplacés hier matin au siège de l'ARP pour donner plus de détails sur les amendements introduits au projet initial et en défendre les objectifs. La réunion de la Commission a enregistré, à cette occasion, une affluence massive de la part des députés, même de ceux qui n'en font pas partie. Mais comme prévu, le déroulement des débats n'a pas été de tout repos aussi bien pour les partisans que pour les opposants au projet de loi. Les objectifs de la réconciliation Pour revenir au projet proprement dit, notons qu'il se compose d'une réconciliation financière et économique dont les objectifs se résument en ce qui suit : une amnistie en faveur des fonctionnaires qui n'ont pas commis de crimes et qui ne sont pas impliqués dans la corruption, une amnistie pour les fonctionnaires qui ont déjà purgé une peine ou qui font l'objet d'une enquête en cours et pour chaque citoyen ayant bénéficié d'une façon directe de faveurs. Slim Azzabi a tenu à noter que le projet de loi ne contient pas de termes faisant allusion aux hommes d'affaires car la réconciliation peut aussi toucher d'autres catégories, en l'occurrence des magistrats, des agents de sécurité ou d'anciens ministres. Autrement dit, ladite réconciliation devrait toucher tous ceux qui ont bénéficié d'avantages d'une façon illicite durant l'ère de l'ancien régime, sachant que l'amnistie peut aussi toucher les crimes se rapportant aux opérations de change. Il a précisé, par ailleurs, que la composition de la commission chargée de la réconciliation sera révisée dans le but de garantir plus de transparence, sans oublier que le projet de loi en question reste ouvert à toutes les propositions d'ajustement. Il faut dire que nombreux ont été les députés et les experts qui reprochent à la présidence de la République de n'avoir pas présenté un nouveau texte de projet bien ficelé après les propositions d'amendements Un débat houleux et risques En bref, le débat a été houleux, et de sérieux risques sont bien là pouvant conduire à un nouveau rejet du projet au niveau de la Commission de la législation générale en dépit du soutien apporté par trois principaux partis, à savoir, Ennahdha, Nidaa Tounes et Machrou3 Tounes, ce qui, théoriquement et logiquement, lui fournit une assise solide pour passer en cas de décision d'un vote en plénière. La crainte vient, par conséquent, de la part des partis de l'opposition, pourtant minoritaires au sein de l'ARP. Les risques sont bien réels au vu de leur capacité de mobilisation au niveau de l'opinion publique, des médias et de la rue. Or, avec la multitude des mouvements sociaux, enregistrés, ces jours-ci, à travers toutes les régions du pays réclamant l'emploi, le développement régional et la dignité, un conflit portant sur ce fameux projet de loi sur la réconciliation peut, facilement, jeter de l'huile sur le feu et donner plus d'arguments aux auteurs des protestations et à ceux qui les ravivent. En effet, les opposants estiment que cette loi, si elle passait, serait en contradiction avec le principe de la justice transitionnelle et permettrait aux auteurs de crimes envers la Tunisie et les Tunisiens d'échapper aux sanctions Chez le clan opposé, ont tient à préciser qu'il ne s'agit nullement de tout effacer ou de tout pardonner. Que ceux qui ont commis des erreurs ou qui ont profité de privilèges qu'ils ne méritent pas, paient. Qu'importe la manière dont ils ou elles paieront, le plus important est que les victimes de leur respect de la discipline et de la hiérarchie et de l'exécution des ordres venues «d'en haut» ne soient plus les parias de la vengeance aveugle de ceux incapables de pardonner ou de dépasser. La réconciliation nationale servirait, selon eux à remettre les choses dans l'ordre et dans les règles de l'art parce que le destin de la Tunisie est en jeu. Parce que le pays est en train de perdre plus de 1,2% de croissance à cause de l'inertie d'une administration devenue trop frileuse pour oser décider, « parce que l'incapacité à pardonner et à se réconcilier donne de la Tunisie l'image d'un peuple habité par la haine et dévoré par la vindicte ». En tout état de cause et comme on l'a constaté lors des derniers événements, c'est celui qui crie et menace le plus qui finit par avoir gain de cause. Et dans le cas d'espèce, les opposants à la réconciliation sont minoritaires, mais ils sont trop agressifs en adoptant une attitude offensive alors que les partisans du projet de loi donnent l'impression d'être dans leurs petits souliers et optent pour une approche défensive. Qui aura dès lors le dernier mot ?