Peur(s) est la dernière création du Théâtre National Tunisien du duo Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi. Sévère diatribe de la Tunisie post-révolution, la pièce met en scène les espoirs anéantis et les rêves évaporés de la jeunesse en particulier et de toute la population en général. Le désert, la tempête, les lieux en ruines où se déroulent les événements ne sont que des métaphores pour relater les faits, exprimer les idées et bien entendu transmettre un message. Un décor sombre et désolant fait réunir un florilège de comédiens de talent qui, grâce à un texte puissant et un jeu tragique et passionnant, ont pu tenir le public en haleine durant deux heures. L'histoire est d'actualité brûlante, quoique usant d'un texte plein de métaphores, dans la mesure où le peuple tunisien, six ans après la Révolution, n'a pas encore récolté les dividendes de son soulèvement contre la tyrannie, la pauvreté, la corruption, le chômage, allant jusqu'à croire que la Révolution semble avoir un effet boomerang, puisque la situation du pays s'est détériorée et va de mal en pis, dans tous les domaines : cherté de la vie, économie asphyxiée, chômage flagrant, environnement dégradant, familles disloquées, valeurs morales dégradées, corruption abusive, incivisme au quotidien, nonchalance administrative... Bref, rien n'a changé, ce qui pousse certaines gens à dire : a-t-on vraiment fait une révolution ? Dans « Peur(s) », il s'agit, comme on peut lire dans le synopsis, d'un « campement de jeunes scouts accompagnés de vétérans est enseveli sous les dunes de sable. Douze rescapés en perdition se réfugient dans un ancien hôpital ou abattoir en ruine, fuyant la menace d'ensablement. Ils ont traversé champs et villages enfoncés dans le brouillard des tornades et découvrent en se réfugiant dans ce lieu de fortune que deux de leurs compagnons manquent à l'appel. Deux éclaireurs téméraires s'aventurent dehors. L'un d'eux revient bredouille et l'autre disparait à son tour. Envolé. Prisonniers des sables et du froid, leur séjour dans cette ruine devient intenable. Tout vient à manquer (eau, nourriture, électricité...) sauf l'humour, malgré l'angoisse, la peur et l'impossibilité de sortir sans disparaitre à leur tour. Leurs vieux démons se réveillent. Rendus à la vie sauvage, une paranoïa collective s'empare d'eux et les dresse les uns contre les autres, individus contre individus, clans contre clans. La solidarité se fissure comme les constructions et les routes. Qu'adviendra-t-il d'eux à mesure que les repères disparaissent et la faim les torture ? Inventeront-ils de nouveaux repères ou crèveront-ils les uns après les autres ?» Le scénario et dramaturgie sont de Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi, le texte est écrit par Jalila Baccar avec la contribution des comédiens. La mise en scène et lumières sont l'œuvre de Fadhel Jaïbi avec l'assistance de Narjess Ben Ammar. La musique et la scénographie sont de Kays Rostom et l'interprétation des roles est assuré par Fatma Ben Saïdane, Ramzi Azayez, Noomen Hamda, Lobna Mlika, Aymen Mejri, Nesrine Mouelhi, Ahmed Taha Hamrouni, Mouïn Moumni, Marwa Mannaï. Dans la pièce Peur(s), il faut saluer la performance des comédiens sur les planches qui ont pu créer un sentiment de peur et d'anxiété chez le public très absorbé par l'histoire qui, isolés du monde, cherchent en vain une issue de secours. Les sons, le bruitage, les lumières, le paysage désolant, le silence de mort, le paysage désolant et les quelques vestiges d'un hôpital en ruine abandonné où les neufs rescapés de la tempête se sont réfugiés, tout cela crée une atmosphère étouffante et suscite une attente angoissée chez le public, se demandant à tout moment ce qui adviendrait de tout ce monde isolé dans ce no man's land. En ce qui concerne la performance des acteurs sur scène, on peut dire qu'ils ont réussi leurs rôles de manière professionnelle en s'identifiant complètement aux personnages qu'ils sont appelés à jouer, ces personnages envahis de sentiments de peur et de détresse, chose qu'ils ont pu communiquer aux spectateurs, qui, à leur tour, ont partagé ces moments pénibles et désespérés. Peut-être que l'intérêt du metteur en scène s'est porté essentiellement sur le jeu des comédiens, sans trop se centrer sur le décor qui ne comprend que de vieux lits d'un hôpital détruit et des crânes humains jetés çà et là. Quant à la lumière, elle oscille entre le blanc et le blafard, parfois même, c'est le noir absolu, comme pour alterner entre les différents états d'âme des protagonistes. Ces derniers présentent différentes couches de la société et sont d'un niveau intellectuel différent, de la jeune femme professeur et l'anthropologue, de l'homme cultivé au citoyen lambda, tous partis pour un camp de scouts et se trouvant surpris par une tempête de sable en plein désert qui les a contraints à s'abriter dans un hôpital en ruines. C'est là que le spectateur découvre les divergences, les hostilités, les antagonismes entre les différents membres du camp, devenus, par la force des choses, égoïstes et égocentriques, se retournant les uns contre les autres, adultes contre jeunes et hommes contre femmes. Chacun d'eux, effondré physiquement et moralement, semble atteint de désespoir, de hystérie, agonisant ses amis d'injures et d'insultes et, au lieu de chercher une solution collective à cette catastrophe commune, chacun pense à son cas, quoique la tempête ne cesse de souffler, mettant tout le monde en danger ! Cette pièce illustre bien la situation de la Tunisie post-Révolution où les espoirs semblent anéantis et les rêves de tout un peuple évaporés !