Tout en maintenant que le médecin assume, sur le plan technique une obligation de moyens, qui est une obligation de diligence, la jurisprudence va modérer la rigueur du système de l'obligation de moyens et ainsi introduire la notion de présomption de faute, ce qui est contraire aux règles rattachées à l'obligation de moyens. Nous l'avons vu, le malade qui estime que le médecin a commis une faute à son encontre, doit la prouver. En outre une certaine suspicion pèse sur les experts, eux-mêmes médecins.(voir Le Temps du 24 mars 2018) La jurisprudence va présumer la faute : désormais c'est au médecin qu'il appartient de prouver l'absence de faute. Pire encore, aucune distinction n'est faite entre l'erreur, non génératrice de responsabilité, car elle peut être commise par un homme diligent, et la faute, qui découle d'un manquement à une obligation et ne peut être commise par un homme diligent. Ce système a été initié en Tunisie par le Tribunal de Grande Instance de Tunis le 7 juin 1982 ; selon cette décision, « le médecin doit prouver qu'il a fourni tous les efforts et le maximum de sa diligence en examinant le malade afin de détecter la maladie, qu'il a utilisé tout ce qui est en son pouvoir pour le guérir et qu'il a fait tout son possible pour éviter le dommage ». Du moment que semble établie la relation entre l'intervention médicale et le dommage allégué, la faute du médecin est présumée ; il appartient à ce dernier de prouver qu'il a été diligent et qu'il s'est conformé aux données acquises de la science. Cependant, la présomption de faute n'est pas toujours suffisante. Les experts consultés, concluent souvent à l'absence de faute technique du praticien. Les juges ont donc créé deux nouvelles obligations du médecin : l'obligation d'information et l'obligation de sécurité. 1- L'obligation d'informer : sauf cas justifié par l'urgence, en particulier quand le diagnostic vital du patient est engagé, le médecin doit informer intégralement son client des risques de dommages auxquels l'acte médical l'expose. Une fois renseigné, le malade doit exprimer sans équivoque son acceptation du risque. A défaut, le médecin, même s'il n'a commis aucune faute technique, reste responsable du dommage provoqué par l'acte. L'obligation d'informer le patient est une obligation de résultat; elle doit être intelligible, c'set à dire, dans la mesure du possible, comprise par le patient, qui le plus souvent est un profane, elle doit expliciter les risques connus courants. Par là nous revenons à la notion de données acquises de la science : à l'instar des notices accompagnant les médicaments, les risques connus doivent être expliqués. Le malade doit être prévenu de tout risque prévisible, et, notamment de tout risque prévisible grave. A défaut le médecin engage sa responsabilité. La Cour d'appel de Tunis a ainsi retenu dans son arrêt du 4 juin 2003 la responsabilité du chirurgien pour défaut d'information du malade sur le risque généré par l'intervention chirurgicale, et ce d'autant que l'expert a relevé que la section des nerfs est probable dans le type d'intervention menée. L'expert ayant établi l'absence de faute technique du chirurgien, les juges ont cependant retenu sa responsabilité pour non respect de l'obligation d'informer. En outre relèvent les juges, le patient aurait pu choisir un traitement moins invasif, non chirurgical. Dans une affaire précédente, jugée le 8 juillet 1996, la Cour d'appel de Tunis avait déjà retenu la responsabilité du médecin, parce que sommé par son client par un PV d'huissier de justice, il s'était abstenu à communiquer son rapport médical 2- En réalité, l'obligation d'information n'est pas spécifique au domaine médical : elle est déduite de l'article 243 du Code des obligations et des contrats qui énonce que l'obligation doit être exécutée de bonne foi. Elle investit aujourd'hui tous les domaines techniques et concernent tous les professionnels : avocats, médecins, architectes, ingénieurs et même commerçants spécialisés : exemple commerçants des articles de sport de montagne dans les produits techniques. 2-L'obligation de sécurité : elle exige que le médecin soit circonspect et qu'il propose le ou les traitements comportant le moins de risques pour le client. En outre, avant toute intervention chirurgicale, il lui incombe de s'assurer des conditions d'asepsie de la salle d'opérations. La Cour de Cassation française a jugé dans un arrêt daté du 29 juin 1999 que l'obligation en matière de stérilisation et d'asepsie était une «obligation de sécurité et de résultat à la charge du médecin dont il ne peut s'exonérer qu'en apportant la preuve d'une cause étrangère». 2- La Cour d'Appel de Paris, dans un arrêt du 15 janvier 1999 a jugé que l'obligation de sécurité, (qui est une obligation de résultat) a un caractère accessoire à l'obligation de moyens : elle a relevé que « la nature du contrat qui se forme entre un chirurgien et son patient ne met en principe à la charge du praticien qu'une obligation de moyens » mais également « que le chirurgien a une obligation de sécurité qui l'oblige à réparer un dommage causé à son patient par un acte chirurgical nécessaire au traitement, même en l'absence de faute, lorsque le dommage est sans rapport avec l'état antérieur du patient, ni avec l'évolution prévisible de cet état». 3- En réalité l'obligation de sécurité qui pèse sur le médecin faisait et fait partie de son obligation de diligence: ses prémices étaient déjà contenues dans l'arrêt (Thouret Noroy du 18 juin 1838). La nouveauté est qu'il s'agit dorénavant d'une obligation de résultat : si cette obligation de sécurité n'est pas satisfaite, elle entraîne la responsabilité du médecin. 4- Pour nous résumer, en matière civile, il y a aujourd'hui deux types d'obligation qui pèsent sur le médecin: 5- L'obligation de moyens, qui intervient sur le plan technique: le médecin n'a pas l'obligation de guérir, ni même celle d'empêcher l'aggravation de la maladie. En outre, Il ne peut non plus prévoir et empêcher tous les dommages : en cas de préjudice causé au patient, il était censé être non fautif et non responsable du dommage jusqu'à preuve du contraire. Seulement, cette obligation a évolué : en cas de dommage successif à une intervention médicale, les juges exigent du médecin qu'il fasse la preuve de l'absence de faute technique de sa part et qu'il s'est conformé aux données acquises de la science; dans la plupart des cas cette preuve sera en réalité donnée par un expert ou un collège d'experts, sachant que les tribunaux assimilent l'erreur à la faute. 6- En même temps que cette obligation de moyens au niveau de l'acte, le médecin assume également, en l'état actuel de la jurisprudence, une double obligation de résultat : - Au niveau de l'information du malade : il ne suffit pas que l'absence de faute technique ait été prouvée. Le médecin est tenu à une obligation d'information complète et loyale, c'est-à-dire comprise par le malade dont le consentement est requis; sauf urgence, le malade doit disposer d'un temps de réflexion. Ce n'est qu'à cette condition que son consentement est réel et éclairé. - Au niveau des conditions de sécurité dans lesquels doit être assuré le traitement, l'intervention ou plus généralement le geste médical. Sans jouer sur les mots, il s'avère que l'état de la jurisprudence actuelle sur la responsabilité médicale est véritablement anxiogène pour les médecins en général et pour les chirurgiens et les anesthésistes en particulier. * Avocat près la Cour de Cassation [email protected]