«Jnoun el kayla», une série pour enfants ? Pas du tout ! «Jnoun el kayla», malgré le fait que les héros soient cinq enfants, rappelant, par-là et quelque part, les aventuriers de la «Bibliothèque rose», «Le club des cinq», sans toutefois le chien Dagobert, tire une sonnette d'alarme sur le devenir de la Médina de Tunis et de n'importe quelle médina tunisienne, et, par extrapolation, sur l'avenir de nombre de bâtiments que l'on peut considérer comme historiques. Cette série remet, également, au goût du jour des appellations tombées dans l'oubli, qui ont connu de beaux jours au sein des générations précédentes, comme «Bou chkara» ou encore «Azzouz el stout». Coup de nostalgie et petits cours d'Histoire quand les cinq cousins se trouvent dans le passé, et plus exactement en 1951, face à leurs arrière-grands-parents et leur grand-père. Cette série n'est pas le propos de cet article. Elle est juste une entrée en matière pour le sujet qui nous intéresse : la Médina de Tunis. Loin de moi l'idée de faire l'apologie de cette zone historique tunisoise. Je souhaite seulement tirée une petite sonnette d'alarme car les monstres mentionnés dans «Jnoun el kayla» sont déjà là ! Inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1979, la Médina de Tunis a connu une autre inscription en 2010, celle de la modification mineure de ses limites, et plus exactement de sa zone tampon. Car, la Médina de Tunis, pour l'UNESCO, est composée de la zone classée (incluant la Médina centrale, Sidi Mansour, El Hajjamine, El Morkadh, Bab Souika, Halfaouine, et Tronja, et leurs alentours immédiats), soit 296, 41 hectares, et de la zone tampon, soit 190, 19 hectares qui entourent les «biens» et dont le rôle est d'améliorer la protection des environs de ceux-ci. D'autre part, près de 90 monuments historiques de la Médina de Tunis bénéficient un classement national. En 1981, et à titre d'exemple, le déblocage de 95 mille dollars US a été approuvé par l'UNESCO pour des travaux de restauration d'urgence de Dar-Haddad ; restauration qui s'est achevée en 1999. En 2009, le site de l'UNESCO parlait de l'authenticité de la Médina de Tunis en ces termes : «La Médina de Tunis (avec sa partie centrale et ses deux faubourgs Nord et Sud) a conservé, sans altérations significatives, son tissu urbain et sa morphologie, ainsi que ses composantes architecturales et architectoniques. L'impact de l'adaptation au nouveau mode de vie et ses exigences est relativement faible, et les différentes interventions de restauration et/ou réhabilitation n'ont pas affecté l'essentiel de son authenticité fonctionnelle et structurelle, même si les bâtiments restent vulnérables aux changements cumulés des matériaux et des techniques de construction». Or, neuf ans après, cette authenticité –sauf pour les bâtiments dits historiques– n'est plus de mise. En effet, les monstres sont déjà là ! Le premier de ces monstres n'est autre que l'incivisme des habitants de la médina qui laisse se détériorer, faute de moyens adéquats, leurs habitations. Il n'y a qu'à se promener dans les rues et ruelles formant ce tissu urbain millénaire pour s'en rendre compte. Des murs aveugles et/ou lépreux, perdant leur crépi, où apparaissent fissures et lézardes, prêts à s'effondrer un moment à l'autre. Des détritus jonchant les rues et les impasses, laissant une vision de misère et une odeur insoutenable à toute personne de passage. Malgré tout, ici, on retrouve le cachet de la médina. Car le second monstre, et, peut-être, le pire, est sans nul doute la «modernité», sans respect de la structure d'origine, que certains habitants veulent donner à leurs demeures. A titre d'exemple l'impasse Maisons neuves, entre Bab Saâdoun et Halfaouine. Même si elle s'appelle Maison neuves, cette impasse, qui est plutôt un passage, n'a pas à être défigurée par la modernisation des habitations. Ainsi, au lieu de restaurer une vieille demeure, les propriétaires ont préféré la détruite pour construire du neuf comme s'ils étaient dans n'importe quelle cité périphérique de Tunis. Pareil pour le prolongement de la rue Ben Othman, qui termine l'impasse des Maisons neuves, dans laquelle un immeuble a poussé il y a quelque année et une «villa» digne des nouveaux quartiers a vu le jour, jurant de concert avec le reste de l'infrastructure. Une véritable insulte de mauvais goût pour les yeux des amours de la Médina ; une «normalité» pour les autres. Ceci n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. D'ici quelques années, les monstres auront gagné, à moins de faire appel à «Ness el diwan»... Mais qui seront ces «Ness el diwan», sûrement pas l'Etat qui laisse faire et qui commet, lui aussi, des bourdes monumentales, c'est le cas de l'écrire. Il n'y a qu'à voir comment ont été badigeonnées, à la va-vite, les deux portes de Bab el Khadra pour s'en rendre compte... D'autant plus, que l'Etat ne fait pas grand-chose dans la restauration de grands ensembles, se limitant à des bâtiments historiques bien définis, et oubliant d'autres édifices qui ont bien besoins eux aussi de rénovation, comme l'hôpital Charles Nicolle, fondé le 9 juin 1897, sous le protectorat français, et, à l'origine baptisé «hôpital civil français», dont une partie du toit du service d'hématologie s'est effondré le 3 mai dernier. Si cette partie de l'hôpital construite en 1997 n'a pas tenue le coup, qu'en sera-t-il des édifices bâtis en 1897 si rien n'est fait ?