Mémoire du temps présent Par Khaled Guezmir Après maintes hésitations, Youssef Chahed semble de plus en plus déterminé à « aller au charbon » et prendre des risques pour ambitionner le commandement qui passe d'abord et essentiellement par cette image qu'il a tardé à refléter, jusque là, celle d'un homme prêt à faire de la politique de haut niveau, y compris manœuvrer ( comme tout le monde) pour espérer le plébiscite populaire aux prochaines échéances électorales! Son dernier discours, suite au flop de Carthage « 2 », annonce une nouvelle stratégie du président du gouvernement, qui ne refuse plus de s'engager politiquement au nom de ce statut, commercialisé depuis la fin de la Troïka du « technocrate dirigeant » sans assise populaire et partisane. Une dévaluation en quelque sorte sans cesse croissante de l'art politique dans son essence même, et dont la première règle est celle de la « représentativité» Vous me direz et... Macron... Oui tout le monde en rêve, mais Macron en France a pris des risques avec ses anciens soutiens, y compris les socialistes de François Hollande et sa machine électorale bien huilée depuis feu François Mitterrand en 1981. Or c'est là que Youssef Chahed semble avoir perçu la bonne marge qu'il peut faire progresser Nida Tounès! Ce parti presque à l'agonie aujourd'hui, ayant subi des coups mortels de toutes parts, ressemble de plus en plus à ces bâtisses délabrées (et dire qu'il n'a que 6 ans à peine) qui cherchent preneur capable de les rénover pour un nouveau départ. Un de mes amis à l'humour cinglant me résumait l'état actuel de Nida Tounès en ces termes : « Nous avons donné à ces Messieurs une majorité confortable comparable à une « Mercedes 500 » et ils ont en fait une petite « 4L » deux cylindres, essuyant des échecs successifs depuis l'Allemagne où ils n'ont pas été capables de réunir 300 voix, en arrivant aux récentes municipales, où ils ont perdu 1 million de voix... un véritable désastre». Youssef Chahed l'a exprimé autrement, mais le constat et même... Nida Tounès a besoin en termes mécaniques, d'une révision générale et au plus vite car 2019... c'est demain! Evidemment on peut écrire des thèses sur le différend entre Hafedh Caïed Essebsi, directeur exécutif du « Nida » depuis le congrès problématique de Sousse, et Youssef Chahed à l'image des luttes antiques pour le pouvoir entre Romus et Romulus en termes d'affiliation politique, mais là, heureusement qu'il y a un « César » encore à Carthage capable d'arrondir les angles, et de calculer les risques de déstabilisation y compris au Sommet de l'Etat et à la magistrature suprême elle-même, à l'horizon 2019. BCE, connu pour savoir donner le temps au temps, est certainement loin d'apprécier (au moins sur la forme) ce conflit entre deux de « ses fils » l'un génétique et l'autre politique. Tout le monde sait que Youssef Chahed, sans BCE n'aurait jamais été appelé à la Kasbah, et que HCE sans le charisme et la position centrale de son père, n'aurait pas pu devenir le numéro 1 de Nida Tounès. Mais BCE tient toujours compte du résultat et à plusieurs reprises il n'a pas cessé de répéter qu'en politique de gouvernement « il y a obligation de résultat qui prime ». Et c'est bien là que HCE a perdu ses batailles, surtout avec un « Etat major » qui ne passe pas populairement... bien au contraire ! HCE n'a certainement pas été bien inspiré d'intégrer dans son cabinet et sa garde rapprochée, des hommes au passé manœuvrié connu, mais inadapté à l'évolution actuelle de la scène politique. Par ailleurs le discours a été des plus contradictoires. Un jour on se jette dans les bras des islamistes d'Ennahdha au nom du sacro-saint « Tawafouk » ( consensus ) et un jour on leur déclare la guerre, surtout en mauvais perdants, après des élections ratées. Il fallait plutôt se positionner dès le départ sur les fondamentaux du parti Nida Tounès en laissant le gouvernement faire son consensus pour faire les lois et gouverner de façon stable, et sauvegarder le Parti en tant que Parti. C'est ce qui a fait qu'on avait l'impression que le parti régnait mais ne gouvernait pas. Or les fondamentaux de Nida Tounès c'est la modernisation (Bourguibienne qu'on le veuille ou non) qui jure avec l'islamisme politique en pleine expansion hégémoniste. En 2019, on risque le K.O pour la modernisation de droite comme de gauche dans son ensemble, si Nida Tounès n'arrive pas à se surpasser pour repasser... devant! L'enjeu est considérable pour tout le modèle sociétal et idéologique de la Tunisie moderniste, mais identitairement « musulmane » tolérante et modérée et non « islamiste ». Finalement la seule chose qui unit Ennahdha et le Nida, les islamistes et les modernistes bourguibiens, c'es le libéralisme économique. De droite chez les islamistes, et de gauche socialiste modéré, chez les nidaïstes qui vont des destouriens bourguibistes aux frontières proches du Parti El Massar de Samir Taïeb, ces deux mouvements s'inscrivent en faux contre le collectivisme marxiste et le syndicalisme extrémiste et conflictuel. Il fallait par conséquent ne pas vendre l'âme moderniste et socialo-libérale du Nida au nom du Tawafouk et pratiquement ne pas fondre dans les sables mouvants du « Docteur » Ghannouchi ! C'est au gouvernement de faire le consensus, et c'est au parti « Nida » de conserver le temple de la modernisation bourguibienne libérale et socialiste. Maintenant que va faire BCE un peu trop bousculé par le « franc-discourir » de son poulain Youssef Chahed et la ténacité de Hafedh Caïed Essebsi, son propre fils? Pour ma part, je pense que le Boss à Carthage réalise parfaitement que la démarche de Youssef Chahed est la seule qui sert ses propres intérêts s'il se décide à re-concourir pour un nouveau mandat présidentiel en 2019. Mais quelle que soit l'ambiguïté de la situation (et elle est très ambiguë), Nida Tounès a besoin d'une thérapie chirurgicale et au plus vite. HCE en tête devrait faire le ménage autour de lui faute de quoi c'est toute la machine qui bloque... Et aux islamistes autour du « oustedh» de pavoiser.. ! Ils auront fini par avoir la peau du Nida, dernier bastion de la modernisation bourguibienne! La Turquie post-kemalienne pointe à l'horizon... Ghannouchi et Erdogan même combat!