Le droit positif est le reflet du degré d'émancipation d'une société déterminée, les lois étant destinées à régir les rapports entre les individus et garantir une certaine justice de nature à préserver la sécurité, la liberté et l'égalité entre eux. Ces lois prennent leur source dans les us et coutumes qui diffèrent d'un pays à l'autre, et c'est la raison pour laquelle, on parle de droit naturel et de droit positif. Alors que le premier constitue l'ensemble des pratiques selon les croyances et l'ordre des rapports entre les individus le deuxième consiste dans les règles édictées par le souverain, et selon le système pratiqué par ce dernier. Dans les pays musulmans dont la Tunisie, le droit est totalement inspiré par la Chariâa. Au fil du temps, et avec l'évolution de la société, il a fallu ajuster ces lois de manière à répondre aux nouvelles exigences imposées par la nouvelle, conception de la séparation entre le temporel et le spirituel. Durant l'ère coloniale, les lois étaient inspirées de la législation musulmane, notamment en matière matrimoniale et successorale. Il n'existait pas à proprement parler un droit de la famille régissant les rapports entre époux réglementant les intérêts de ces derniers ainsi que de leurs enfants. Il en était de même en matière successorale, où la liquidation du patrimoine s'effectuait par un notaire qui appliquait à la lettre les règles édictées par la Chariâa. Or la plupart de ces règles étaient supplétives et non impératives, mais avec la mentalité misogyne qui prédominait non seulement en Tunisie, mais dans tout le monde arabo-musulman, elles étaient interprétées à l'avantage des Hommes. Les femmes étaient défavorisées, notamment en matière matrimoniale et successorale. Tahar Haddad l'avait dénoncé dans son ouvrage, « notre femme dans la chariâa et dans la société », ce qui lui coûta d'être couvert d'opprobre par tous les zeitouniens obscurantistes de l'époque. Code du statut personnel et Chariâa A l'aube de l'indépendance le code de statut personnel fut la première réforme intervenue en vue de mieux préserver essentiellement les droits de la femme, en ayant recours essentiellement à ces règles supplétives de la chariâa. Car l'interdiction de la bigamie , s'érigeaient sur la base de l'équité entre les épouses recommandée par plusieurs versets coraniques. « il vous est loisible d'épouser autant de femmes que vous le désirez..deux , trois ou quatre…. Et Si vous craignez de ne pas être équitable entre elles, alors contentez vous d'une seule » (Sourate Anissa V.3 ). Et plus loin dans la même Sourate, il est énoncé « Vous ne pouvez jamais être juste envers vos femmes, même si vous le désirez ardemment » (Anissa , V.129). C'était donc sur la base d'une interprétation extensive et pondérée de ces deux versets que la bigamie a été interdite. A l'époque, les misogynes avaient crié au blasphème et à l'hérésie, alors qu'il s'agit de règles supplétives que le législateur a su adapter favorablement, sous le contrôle et l'approbation des grands théologiens de l'époque tels que le cheikh Abdelaziz Djait, spécialiste en matière de législation charaîque. Le legs obligatoire En matière successorale, une première réforme a été introduite, concernant l'héritage de l'enfant dont le père est décédé avant son aïeul. En effet Avant la promulgation du code du statut personnel, l'enfant qui était dans cette situation perdait son droit à la succession à laquelle se substituait son grand père. D'où d'ailleurs l'ancien dicton arabe bien connu : " Celui dont le père décède avant son aïeul, est tel un écorché vif ". C'était une situation qui donnait souvent lieu à des tensions voire des animosités familiales. L'article 191 du code du statut personnel était dans le but de garantir le droit à l'héritage des enfants dont les parents décèdent du vivant de leurs aïeuls. C'est ce que le législateur a appelé :le legs obligatoire : Il est en effet stipulé dans cet article : " Les enfants, garçons ou filles, d'une personne qui décède avant ou en même temps que leur aïeul ou leur aïeule bénéficient d'un legs obligatoire équivalent à la part successorale qu'aurait recueillie leur père ou leur mère s'ils étaient restés vivants, sans que cette part puisse dépasser le tiers de l'actif successoral ». Cette initiative du législateur encouragée par la volonté de Bourguiba de préserver les droits de tous les membres de la famille, fut approuvée également par les mêmes théologiens de l'époque, sur cette même base que les règles charaîques étaient des règles supplétives et non impératives , car ayant trait aux relations entre individus entre eux, et ne touchant ni à la foi ni aux préceptes fondamentaux de l'Islam. Héritage et égalité de sexe En l'occurrence, la recommandation coranique énonçant que l'homme a une double part par rapport à la femme, en matière d'héritage, est parmi les règles supplétives auxquelles il est permis de déroger sans contrevenir pour autant aux principes fondamentaux de la Chariâa. Le De Cujus peut lui-même de son vivant peut répartir son patrimoine en parts égales entre ses enfants des deux sexes. De même que les ayants droit peuvent convenir de procéder à un partage égal entre eux, indépendamment des sexes. Intiative du Colibe et Chariâa La loi sur l'égalité de l'héritage, sur la base du rapport de la commission des libertés individuelle et de l'égalité (Colibe), qui a été adoptée en conseil de ministres et qui va être soumise à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), pourrait être discutée sur cette optique, que cette règle de la Chariâa est supplétive. Elle pourrait donc être adaptée d'une manière pondérée, à la société tunisienne où les droits de la femme doivent être préservés et où il n'ya plus de place à la ségrégation de quelque nature qu'elle soit. La loi pourrait être rédigée de manière à laisser le choix aux ayants droit de procéder au partage qui sied à la situation de la famille et qui préserve leurs droits. Mais une loi qui soit également conforme à la Constitution dans son article 21 : «Tous les citoyens et les citoyennes ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination aucune» La norme égalitaire fait son chemin par le canal du droit, local et international. Cela va de soi car la société tunisienne évolue aussi bien dans ses structures que dans ses modes de vie, ainsi que dans les lois régissant les rapports entre eux et devant préserver leurs intérêts et garantir leurs droits d'une manière équitable et sans discrimination ni favoritisme.