Alors que le débat sur le statut des artistes ne fait que commencer, quelle devrait être la démarche du ministère des Affaires culturelles, initiateur de ce processus prometteur? Quelques pistes pour un rendez-vous avec l'efficacité et une concertation responsable. Faudrait-il parler d'artistes ou de travailleurs culturels? Qu'entendons-nous au juste lorsque nous parlons du statut des artistes? En effet, la première question à laquelle il faut répondre est la suivante: les artistes ont-ils un statut? Et ensuite, une seconde interrogation découle de source: qui est artiste? Un statut juridique, social ou professionnel? Or, les réponses à ces deux questions sont si complexes et touffues qu'elles risquent de phagocyter tout débat et empêcher de parvenir à des résolutions pratiques. Dans cette optique, le débat qui se pose aujourd'hui, nécessite un patient travail d'écoute et de défrichage. Il faut se méfier aussi bien des solutions toutes faites que des acteurs trop pressés. À titre d'exemple, bien malin est celui qui pourra définir ce qu'est un artiste en Tunisie. Pour éviter de s'embourber dans des approches byzantines, peut-être serait-il judicieux d'accoler un adjectif au mot "statut". De quel statut des artistes parlons-nous au juste? S'agit-il de leur statut juridique ou bien de leur statut social? S'agirait-il plutôt de statut professionnel que nous parlons? Tous ces termes ne sont pas neutres et expriment des nuances essentielles. Dans cet esprit, qui, en dehors des opérateurs culturels devrait-on associer à cette réflexion? Il serait en effet insuffisant de se contenter d'un débat entre les artistes (et ceux qui se considèrent comme tels) et le ministère des Affaires culturelles. Il convient plutôt d'associer d'autres compétences et aussi d'autres ministères ainsi que les syndicats et associations corporatistes. Dans tous les cas, il faudra consacrer le temps suffisant à la définition et la pleine compréhension des deux termes de la discussion. Ces termes sont évidemment la notion de statut et l'identité de l'artiste. S'engouffrer dans des débats passionnés avant d'avoir élucidé ces termes et circonscrit leur champ, reviendrait à se précipiter dans une impasse. Comment choisir la bonne méthode? Si la fébrilité des acteurs culturels et des protagonistes du débat est compréhensible, il ne faut pas qu'elle annihile ou détourne des objectifs à atteindre. Pour éviter ces écueils, la succession de journées de réflexion devrait déboucher sur des ateliers plus pratiques et spécifiques et ensuite ouvrir la voie à un séminaire sectoriel ou national. Ce qui par ailleurs pourrait constituer un handicap méthodologique, c'est le fait que l'initiative d'ouvrir le débat ne provienne pas des artistes et de leur représentation. C'est en effet le ministère des Affaires culturelles qui, par la voix de la ministre Latiri, a pris l'initiative de la démarche. Il aurait été plus logique que la méthode se fasse à l'inverse. En d'autres termes, il serait probablement plus porteur de laisser les artistes poser et organiser le débat en se contentant pour le ministère des Affaires culturelles de se placer en retrait. De manière opérationnelle, cela signifierait que le département de tutelle se consacre dès le départ au travail politique en laissant les artistes faire remonter leurs visions, revendications, recommandations et résolutions. À ce stade où le débat et la procédure ne font que commencer, il serait plus rentable de répartir les tâches entre les artistes et le ministère. Prenant pour acquis le volontarisme du ministère, il serait plus efficace que ce dernier se consacre dès à présent à mobiliser les décideurs politiques. Nous verrions d'un oeil vigilant et attentif l'implication de la présidence du gouvernement dans le patronage politique de ce processus. Nous verrions aussi comme gage de sérieux et de continuité, la recherche de parrains de l'envergure du Programme des Nations-Unies pour le développement ou de l'Union européenne pour anticiper la faisabilité du projet global. Patience et concertation face aux écueils de la fébrilité En aucun cas, il ne faudrait pas que le ministère des Affaires culturelles soit jaloux de son initiative et ne s'enferme dans une démarche de soliste. En aucun cas, il ne faudrait que les artistes transforment ces assises à venir en discussions houleuses, règlements de comptes ou simples présentations de cahiers de doléances. De fait, la marge est d'autant plus étroite qu'il s'agit aussi de ne pas prendre un faux départ. Dans ces contextes de défrichage du progrès, la patience et la concertation responsable sont généralement bonnes conseillères. Contrairement à l'illusionisme et aux consultations factices qui ont traditionnellement présidé aux débats avec la société civile. Destinés à rester lettre morte dans les maquis de l'incurie, certaines "grandes consultations" nationales ont trop souvent été conçues pour jouer la montre et substituer des écrans de fumée au devoir de développement. La sagesse constitue aujourd'hui de cultiver une attitude qui sorte de ces schémas éculés. Une attitude responsable à même de mener ce processus jusqu'au bout. Disons le clairement: le fait que le débat sur le statut des artistes soit ouvert est en soi un bon point politique pour la ministre qui en a pris l'initiative. C'est maintenant, en lâchant du lest, en laissant les experts et les intéressés en première ligne, en demeurant en retrait, que Chiraz Latiri pourra engranger des bénéfices et mener à son terme la démarche qu'elle vient d'initier et dont elle devrait laisser le pilotage à d'autres. Garante de la continuité et de la cohérence de cette belle initiative, la ministre devrait à notre sens la suivre activement, la porter politiquement et en temps voulu, en appuyer la concrétisation.