L'humour façon Lotfi Abdelli fait parfois grincer des dents. Après une tirade jugée misogyne, les réactions sont nombreuses et appellent à une mise à l'index de l'artiste. Lotfi Abdelli vient à peine de commencer sa tournée et voilà une tempête qui se déclenche à propos d'un de ses sketches dans lequel il prend à partie en termes crus une femme politique. Jugé de mauvais goût, ce sketch où il est question de culottes, d'hygiène et de sécurité est selon les détracteurs de Abdelli, à la limite de l'outrance. Même si l'assistance a ri de bon coeur, il n'en reste pas moins que le propos de l'artiste est équivoque. Un coup de pub au nom du scabreux Le caractère misogyne du sketch - plus précisément de la séquence incriminée - ne fait pas de doute pour de nombreuses féministes qui ont réagi après ces propos prétendument humoristiques. Plus largement, de nombreuses voix se sont élevées pour appeler au boycott des prochaines représentations du spectacle de Lotfi Abdelli. Bien entendu, ces remous et prises de position ont aussi eu pour effet d'attirer l'attention sur ce nouveau spectacle qui est en tournée durant tout l'été. Le coup de pub est fort évident au point où l'on peut se demander si Abdelli n'a pas joué la carte du scabreux pour promouvoir son show. L'humour peut-il servir de prétexte à des dérapages verbaux? Peut-il servir de paravent pour des agressions camouflées sous les apparences de la plaisanterie? La dernière saillie de Lotfi Abdelli a eu pour effet d'ouvrir ce vaste débat tout en posant la question essentielle de la liberté d'expression de l'artiste. Menacé autant par les lignes rouges tracées par les conservateurs que par l'auto-censure, les artistes sont souvent condamnés à évoluer sur le fil du rasoir. Toutefois, ces freins doivent-ils pour autant laisser la porte ouverte aux allusions scabreuses et au grivois qui dérape lamentablement? En outre, cette levée de boucliers devant un simple sketch - mais pas si innocent - souligne les clivages qui traversent la société tunisienne. En effet, malgré son caractère cru, le sketch de Abdelli a fait rire les plus conservateurs des Tunisiens. Visant une leader moderniste, Abdelli a gagné la sympathie des traditionalistes qui ont le rire plutôt gras. Il suffit d'imaginer le scénario opposé avec une attaque en règle sur l'hygiène d'une députée islamiste pour mesurer la démarche de Abdelli et cerner ses limites. Sur un autre plan, cette affaire pose évidemment le problème de l'humour tel qu'il est pratiqué de nos jours. Nous sommes bien loin de la finesse d'un Taoufik Jebali lorsqu'il décoche ses flèches ou du rire bon enfant de Lamine Nahdi. Aujourd'hui que le public confond théâtre et stand-up, tous les coups sont permis quitte à plonger au fond du scabreux. Faut-il lancer des anathèmes à Lotfi Abdelli? L'humour des monologuistes ne fait plus dans le détail et au fond, exprime la violence sous-jacente qui taraude la société tunisienne. Nous sommes bien loin des icônes du boulevard que furent Ommi Traki, Hadj Klouf ou Le Maréchal Ammar. Ce théâtre de situation où le public riait aux éclats, n'est plus d'actualité. Il a laissé le champ libre à une parole libérée qui parfois pêche par excès. Faut-il pour autant lancer des anathèmes à Lotfi Abdelli? De même, peut-on l'absoudre devant ce type de dérapages? Car, au final, à trop confondre brèves de comptoir et quatrième art, ce sont les codes du spectacle et le goût du public qu'on pervertit.