« Martyr » est la nouvelle création du Théâtre national, mise en scène de Fadhel Jaibi, d'après le texte du dramaturge allemand Marius Von Mayenburg. Elle est interprétée par les comédiens de l'Ecole de Théâtre Jeune : May Al Salim, Nouha Naffeti, Aws Al Zubaidy, Clara Fetouie el Hawa, Malek Chafroud, Siwar Abdaoui, Mahdi Ayed, Amen Allah Atrous, Hamza Ouertatani. L'avant première a été donnée vendredi 18 décembre 2020 à la salle du 4ème art. La pièce traite du sujet de l'extrémisme religieux. Cette thématique est récurrente dans le théâtre de Fadhel Jaibi. Il l'a abordée dans ses pièces précédentes «corps otage » depuis 2006/ 2007 et « Tsunami » au lendemain de la révolution tunisienne qui a fait émerger les intégristes. La question est toujours d'actualité, elle mérite d'être profondément disséquée. Enlever le sparadrap qui couvre la détresse humaine, est la mission des esprits éclairés. La plaie profonde, est incurable si on ne dépêche pas l'ablation de la tumeur qui s'éparpille rapidement dans le corps social. Fadhel Jaibi, a braqué la lumière sur les dysfonctionnements des institutions sociale, culturelle, politique, qui sont à l'origine de cette régression des esprits, de cette montée effroyable de l'obscurantisme. Cette anomalie ne cesse de ronger les principes de l'Etat civil. Ceci ne provient pas d'une religion bien déterminée, mais de toutes les pensées théologiques dogmatiques. Qu'est ce qui pousse un adolescent, en âge propice à l'exaltation, à la démesure, à la frivolité, à l'amour, aux plaisirs, à l'euphorie libidinale, à se séquestrer dans les abysses du discours théologique ? Qu'est ce qui alimente le mouvement de régression des esprits dans une société qui se veut progressiste, laïque et civile, à l'ère de l'élan de la liberté, de la démocratie, de la diversité, , des fantaisies, du décontracté, de l'éclatement des mœurs et des tabous ? Comme tous les obscurantistes religieux, Benjamin, le protagoniste principal de Martyr, choisit la voie du sacré comme remède à son malaise existentiel. Face à sa conscience brouillée par les incertitudes, les frustrations, les défaites, il tient à baliser son propre chemin à la quête de son moi perdu. Les illusions nourrissent sa quête, les chimères persistent même dans ses moments de lucidité. Il s'interdit les plaisirs, se frustre comme un masochiste. Aveuglement, il s'engouffre dans le fanatisme, l'ignorance, la haine et n'hésite pas à faire mal aux autres, à sa mère, ses camarades, ses professeurs. Son narcissisme, en voulant exclure les autres, est pathologique. Son identification au christ émane d'un dysfonctionnement psychologique. Sa témérité de défoncer l'institution scolastique et d'installer le crucifix est un comportement hardi et maladif. Martyr La pièce démarre avec l'entrée du jeune Benjamin. Il a l'air recroquevillé, introverti. Son corps crispé se repliait sur un livre saint. Il occupe un espace restreint, on dirait un intrus ou un parasite qui s'était introduit par erreur dans un espace qui ne lui était pas réservé. Il a accompli le rite d'ablution, comme s'il désirait rendre sacré l'espace profane et se l'approprier. Le contraste s'aperçoit par la suite avec l'apparition de ses camarades, qui dans une atmosphère d'élan et d'enthousiasme, se déshabillent tout décontractés, portant leurs maillots de bain pour une séance de natation. Le rapport conflictuel entre le jeune et ses camarades s'attise avec son professeur de sport qui a eu recours à la mère pour résoudre le problème du jeune. L'abstinence d'exercer l'activité sportive, considérée comme lieu de dénudement et d'excitation libidinale, est à ajouter au refus des séances de biologie qui abordent à son sens des sujets anti- religieux, comme la théorie de l'évolution, la cosmogonie, l'éducation sexuelle, l'homosexualité. Benjamin refuse tout dialogue avec autrui, toute pensée antipode aux siennes qui dérivent d'enseignements bibliques. Sa professeure de biologie essaie en vain de le convaincre avec son propre arme (la bible). Le système éducatif qui se veut laïque n'a pas tranché définitivement avec l'influence théologique. Les rapports entre la responsable de l'établissement scolaire et la professeure sont aussi conflictuels. Le metteur en scène tourne en dérision la directrice autoritaire et dirigiste. Son attitude attise le désordre et encourage indirectement la témérité du jeune fanatique qui ose accrocher le crucifix et apparaitre en image du christ à l'école et précisément dans la salle de biologie comme acte de défi. En fait, le metteur en scène remet en question trois institutions : la famille, l'école et l'église et bien sûr à travers eux, l'Etat et sa politique. Il appelle à repenser l'éducation, à réinterroger le système éducatif défaillant, à revoir les contenus pédagogiques, la discipline, la citoyenneté, le patriotisme qui ne consiste pas en une simple érection du drapeau et une récitation de l'hymne national par les élèves, devenant un acte quotidien routinier. La responsabilité doit être assumée également par la famille. Le milieu dans lequel évolue l'enfant joue un rôle important dans son développement intellectuel et psychologique. Les rapports familiaux fondés sur l'amour, le respect et la bonne éducation, donneront des individus psychiquement équilibrés. Quant à l'institution religieuse, elle est appelée à revoir les discours qui poussent à la haine, à la ségrégation, à la violence, à réinterroger les notions de martyr, du bien et du mal. En fait, qui est-ce le vrai martyr dans la pièce, est-ce Benjamin qui massacre des innocents, rien qu'ils sont différents de lui, ou bien George, son camarade handicapé qui a refusé d'être l'instrument du mal? Comment définir le mal et le bien ? À partir de la vision dogmatique et sanguinaire de Benjamin ou de ceux qui prônent pour la paix, la diversité, la liberté, la tolérance et le respect? Le titre est une ironie pour montrer la monstruosité de cet criminel, qui par le biais de la religion, accomplit les actes les plus inhumains, les plus atroces ! Il urge d'en finir avec les dogmes et instaurer la paix et l'amour! F.Z