L'habit traditionnel devient de plus en plus une source d'inspiration pour nombre d'artistes- designers, à l'image de Latifa Hizem qui nous offre à voir « Naksha », une superbe exposition à la Galerie Musk and Ambar aux Berges du lac. Latifa Hizem retravaille, revisite et modernise avec doigté, des pièces anciennes de notre patrimoine, en optant dans certaines de ses créations pour le « Hayek » kairouanais et autres tissus, matières, motifs, designs, couleurs... empruntés au savoir-faire de nos artisanes de Ksar Helal, Sidi Bouzid et autres régions de la Tunisie profonde... Très tôt initiée par ses parents à l'amour de la nature, au goût des belles choses et au travail bien fait, l'artiste de renommée internationale nous convie, à admirer un patrimoine vivant, réutilisé à sa manière. Des pièces exceptionnelles auxquelles elle redonne vie après un changement de coupe ou l'ajout de motifs et autres broderies. Avec son habileté et adresse, elle met en avant, tout son talent de styliste et créatrice, la richesse d'un patrimoine artisanal millénaire réinséré dans des créations contemporaines. Après un riche parcours de plus quinze années, opéré entre son pays et la France dans le domaine du prêt-à-porter, du luxe et de la mode, la fashion-designer poursuit son créneau, laissant libre cours à son imagination ainsi qu'à son inspiration pour montrer sa propre vision de la mode. Le résultat issu de ce travail, qui se traduit concrètement en collections vestimentaires, est en soi, de la création. C'est avec une démarche similaire à celle d'un anthropologue que Latifa Hizem se met à sillonner toute la Tunisie, parcourant villes et villages, même les plus retranchés du pays, pour recenser dans toutes les régions du pays, des savoir-faire artisanaux et une multitude de richesses immatérielles, soit insoupçonnées, soit délaissées. « Ce dont elle avait le plus peur, nous apprend-t-on, c'est de voir un jour, tout cet héritage disparaître au profit de l'invasion du « made in China » dans l'artisanat tunisien, et de l'essor grandissant de la « folklorisation » négligente et facile... » Elle transforme sa peur en un défi majeur. Elle en fait sa raison d'être, une cause, un combat. En parcourant la Tunisie, elle fait des rencontres magiques, généreuses et passionnantes qui lui donnent envie de mettre en valeur son patrimoine artisanal, ce patrimoine millénaire si riche de par toutes les civilisations et les cultures qui ont traversé le pays. Elle est aussi, très probablement, ajoute-t-on, poussée par cette tradition selon laquelle, le savoir-faire ancestral se transmet de mère en fille. Elle devient en quelque sorte, inconsciemment, la fille-légataire de toutes ces artisanes qui croiseront son chemin. C'est à partir de toutes ses rencontres et de cet héritage précieux, qu'elle créera « Ashkan » (qui veut dire «passionné » en arabe). C'est finalement en 2016 que tous les éléments, toutes les étapes de ce long cursus s'harmonisent et donnent lieu à une nouvelle magnifique création. En effet, riche de ses deux cultures, orientale et occidentale, forte de son parcours atypique et de sa maitrise dans les domaines du design, du textile industriel comme du tissage artisanal, consciente de sa capacité à revisiter l'artisanat dans des pièces contemporaines modernes souvent uniques, tout en préservant son authenticité, Latifa Hizem décide de créer à nouveau sa propre marque originale, « Naksha ». Une expo-hommage qui invite à réfléchir sur la place des artisanes dans la société, dédiée à toutes ces Femmes qui, selon l'artiste, « font naître de leurs mains au quotidien, les secrets de l'émerveillement de la vie... Mais aussi, valoriser son patrimoine, mettre en lumière son identité dans toutes ses facettes, y compris la plus populaire et la plus profonde, les faire dialoguer avec la contemporanéité, avec l'universel ...Tel est le but de cette exposition qui se poursuit à l'espace Musk and Ambar, jusqu'à mi-janvier 2021. S.B.Z.