Au risque de déplaire, projetons-nous vers le 18 janvier 2021. Non pas pour fêter avant terme l'anniversaire d'une autre révolution, celle de 1952, mais pour passer en revue la situation qui prévaudra dans le pays au terme des quatre jours de « lock down » général. Quatre jours qui auront servi à quoi exactement ? Puisque notre bonne presse n'est pas en mesure de discuter un sujet aussi pointu que la pandémie du corona virus, et donc l'opportunité de cette quarantaine obligatoire, disons que la décision émanant des experts sanitaires, et confiée aux forces de l'ordre pour exécution, n'est pas exclusivement sanitaire. Les réactions à cette mesure le prouvent sans ambiguïté. Dans la matinée du mardi, nous nous réveillerons sur les mêmes blocages d'il y avait quatre jours. L'ARP (Assemblée des représentants du peuple) reprendra de plus belle ses cirques d'avant le confinement. Il y aura des groupes parlementaires rompus à faire grincer toutes les machines du Législatif, l'essentiel est de garantir pour le plus longtemps possible, des sièges, des salaires et des émoluments, en rupture totale avec le minimum de prestations requis pour « un élu du peuple ». 18 janvier, Fête de la Révolution Il n'y aura donc aucun texte de voté, ce qui est dans la logique des choses. Ces quatre jours d'enfermement contraint, ne diffèreront en rien de l'année ouvrable (390 jours) qui vient de s'écouler. Plus joli encore, messieurs les députés useront de leurs cartes magiques pour braver toutes les interdictions imposées au petit peuple qui les a portés là où ils sont. Avec les véhicules de fournitures alimentaires, les ambulances et autres voitures de service, ne nous surprenons pas de voir une voiture civile, forcément cylindrée, conduite par un député, en mal de balade dans ce bled désert et calme, histoire de rappeler aux représentants de l'Etat qu'il est bien là, à la différence de la plèbe jonchée autour d'un diner de guerre qui dépasse les capacités de « Khalti Fatma et de son fameux couffin ». Une façon de nous rafraichir la mémoire avec la littérature de la Révolution du Jasmin, un certain 14 janvier 2011, dont le peuple n'a pas réussi jusqu'ici à percer les secrets. La nature a fait que, cette fois-ci, la révolution ne sera plus commémorée dans les meetings et les carnavals de rue, mais à la maison, où chaque citoyen se retrouvera face à lui-même, à ses mauvais instincts, la peur au ventre, pour son physique, amoindri déjà par une infinité de privations financières, relevant de sphères lointaines, celles de l'économie, de l'agriculture, et autres bagatelles vulgaires, comme la nourriture, l'électricité, l'eau et les égouts défectueux qui parsèment sa vie. Des sujets qui relèvent d'un astre céleste que seuls les islamistes racontent sans jamais l'avoir vu. Un exercice périlleux auquel nos députés feront tout pour s'en affranchir, moyennant leur immunité parlementaire miraculeuse, le jugeant beaucoup trop encombrant pour leurs consciences saintes et éthérées. La mémoire prospective De ce point de repère, l'ARP sera déserte. A la Kasbah, les réunions ne cesseront pas. Sur la Covid-19, ses vitesses de mutations, ses vaccins dont on ne connait plus les itinéraires, mais aussi le pain, l'électricité scintillante de la STEG, l'eau bénite de la SONEDE et autres sources de vie mystérieuse, faites de cours d'eau maculés de matières fécales, humaines et animales, l'essentiel est de tout faire à la Kasbah, pour que réussisse cette détention provisoire du peuple de Tunisie. A Carthage, il y aura la fête, les élans oratoires médiévaux, plaquant les métaphores abbassides sur les perspectives touristiques de Sidi Hassine Sijoumi, le tout derrière une bavette étanche, entre le verbe et la réalité. C'est notre sort, nous les révolutionnaires anachroniques, voire en dehors du temps. Bien des questions s'évanouiront. Les « gros mots » de la politique, comme le remaniement ministériel, le gouvernement de technocrates, le gouvernement « politique » des partis, les coups-bas à tous les étages, les agissements de la pègre au Bardo, les conflits d'intérêts, la corruption et les délits financiers et économiques, et j'en passe, tout cela sera renvoyé à une ère nouvelle et vaporeuse, car révolue, depuis 2011. Le 18 janvier prochain, le peuple tunisien ne sera pas guéri de son amour pour la simulation et le « faire comme si ». Au petit matin, de ce jour béni, le peuple retrouvera en chœur les spectacles du bus et du métro, le seul remède à une vie d'illusions et de mensonges à laquelle il « semble » avoir adhéré. La machine de la production reprendra avec les moyens du bord restants. Plus de questions existentielles, plus de joutes oratoires sur le paradis et l'enfer. L'ici-bas reprendra ses droits, mais cette fois-ci, sans les élucubrations du Bardo, les formules alambiquées de nos technocrates, les élans oratoires sur la mule qui trébuche à Bagdad. La Tunisie aura, le 18 janvier, entamé un nouvel épisode de ses mille et une nuits. Cette fois-ci, ce ne seront pas les femmes qui seront sacrifiées, mais le Calife lui-même. Car déjà, on le lui a signifié à chaque souffle : Calife de tous les désastres, disparais, car nous avons décidé de vivre sans toi. Amen ! J.E.H.