Alors qu'au parlement on continue à semer le trouble, tout en appelant à la destitution du président de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) , au gouvernement c'est encore le statu quo avec des ministres sortants qui continuent à travailler en attendant que les nouveaux ministres soient nommés, chose qui présente pour le moment beaucoup de difficultés. Pour cause, le président de la République, refuse que ces ministres prêtent serment devant lui pour des suspicions de corruption et des conflits d'intérêts à l'encontre de certains d'entre eux. C'est dans cette ambiance confuse que le procès de l'assassinat de Chokri Belaïd, pendant devant la 5ème chambre criminelle du tribunal de première instance de Tunis, a repris mercredi dernier, afin d'examiner l'issue des décisions d'avant dire droit, ordonnées par le tribunal, dans le cadre des investigations tendant à la connaissance de la vérité sur ce crime odieux, ainsi que sur ses auteurs, leurs complices et surtout leurs commanditaires . Il semble que les choses sont au même point, selon notamment le collectif de la partie civile, les enquêtes tendant à éclairer la justice ont du mal à se réaliser, le confinement à cause de la pandémie du corona, qui a du reste bon dos, ayant été le prétexte à la lenteur de la justice dans cette affaire comme dans tant d'autres. Ce qui fait qu'au final, l'affaire a été renvoyée au 29 mai 2021. En attendant le pouvoir judiciaire a d'autres chats à fouetter, puisqu'il s'occupe en ce moment à préserver son image, surtout après les suspicions de corruption dont ont été l'objet certains parmi ses membres. Manque de diligence et pouvoir politique En effet, après une longue période de grève, qui a paralysé le service public de la justice, avec toutes ses conséquences négatives sur les droits des justiciables, les parties prenantes reviennent à la charge pour mettre en exergue la nécessité de défendre l'indépendance de la magistrature qui a été « affectée, par les pressions sur les instances judicaires, et l'immixtion dans leurs propres affaires », ce qui constitue estiment-ils une violation flagrante des principes constitutionnels ». Dès lors, il n'y a aucune amélioration par rapport au traitement des affaires par le corps de la magistrature qui persiste dans cette pratique de reporter aux calendes grecques les affaires les plus épineuses, qui ont leur impact sur l'image de la justice déjà assez ternie. C'est que les affaires relatives aux assassinats de Chokri Belaïd, Mohamed Brahmi et toutes celles qui entrent dans le cadre des crimes politiques et par là-même du terrorisme, n'ont pas été traitées avec la diligence nécessaire à la connaissance de la vérité. Ainsi, cela fait maintenant 9 ans que l'enquête a été ordonnée depuis l'assassinat de Chokri Belaïd un 6 février 2012, et qui a été suivie, à peine cinq mois plus tard de l'assassinat de Mohamed Brahmi. Bien qu'on ait soupçonné l'implication de certains membres du mouvement Ennahdha, dans ces assassinats, ces affaires sont toujours au même point. Les tiraillements politiques dans lesquels certains magistrats ont été impliqués y sont pour beaucoup dans le manque de diligence dans ces affaires qui revêtent un caractère très particulier. Jeudi dernier, Basma Khalfaoui, avocate et veuve de Chokri Belaïd, a déclaré que depuis 2014, feu Béji Caïd Essebsi avait promis que la vérité sera, coûte que coûte, dévoilée. Hélas il n'en est rien » ! En effet, il y a plein d'obstacles à l'avancement de cette affaire, qui sont dus aux pratiques de manigances et d'occultation de la vérité par certaines parties, dont ceux qui veulent faire actuellement la pluie et le beauté au sein du pouvoir, et qui en sont les principaux acteurs. Seulement, le Syndicat des magistrats tunisiens qui a encore une fois fait paraître dernièrement un communiqué dans lequel il a dénoncé « les tentatives de dénigrement des magistrats, afin d'essayer de faire pression sur eux », n'a fait aucune allusion aux obstacles que trouve la justice dans la connaissance de la vérité dans des affaires similaires à celle relative à l'assassinat de Chokri Belaïd. Le syndicat affirme qu'on ne peut, en aucun cas, mettre en doute les décisions des magistrats, et a fait appel au Conseil supérieur de la magistrature afin de réagir, pour garantir l'indépendance du pouvoir judiciaire. La justice mise à mal par les siens Cela semble tout à fait légitime, n'était-ce les suspicions de partialité dont font l'objet deux grands pontifes de la justice l'un étant de surcroît membre du CSM, alors que l'autre était l'homme le plus important au parquet. Ce dernier a été muté dans une autre juridiction, mais a déposé un recours devant le tribunal administratif qui lui a d'ailleurs donné gain de cause. On ne sait plus depuis, s'il a réintégré son ancien poste de procureur ou s'il a gardé son nouveau poste au sein de l'inspection générale. En tout état de cause, cette mutation du procureur serait en rapport avec l'affaire de Chokri Belaïd, et qui aurait selon ce qu'affirme le collectif de la partie civile, retiré certaines pièces pouvant aider en l'occurrence, à la connaissance de la vérité. Il y a eu par la suite des échanges d'accusations sur les réseaux sociaux, entre ce magistrat et Taieb Rached, président de la cour de cassation et membre du CSM. Celui-ci aurait été chargé par la justice de consulter les rapports de l'enquête menée par Béchir Akrémi, alors juge d'instruction au bureau 13, dans les dossiers de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Selon les dires de Taieb Rached, Béchir Akrémi, n'a interrogé, ni le suspect nommé Belaâzi, ni les prévenus qui avaient témoigné contre lui au cours de l'enquête préliminaire. Et depuis, il n'y a plus eu d'échos quant à l'issue de ce différend entre deux grands magistrats, qui a mis à mal la justice et a terni son image. Le pouvoir judiciaire, comme si de rien n'était, persiste et signe dans le corporatisme, pour ne défendre que les intérêts des magistrats, alors qu'il s'agit de l'intérêt de la justice qui implique aussi bien les responsables que les contribuables. On ne doit pas confondre l'indépendance de la justice avec celle du juge. Ce dernier, ne peut sortir du cadre de la loi, quand bien même il puisse décider en vertu de son intime conviction. Celle-ci est faite au vu des pièces du dossier et des circonstances propres à l'affaire qui se présente devant lui. Il ne peut cependant prendre en considération des éléments extérieurs au dossier ou subir d'ascendant de quelque partie que ce soit. Immixtion dans la justice et politique judiciaire Ainsi, dénoncer les tares de la justice n'est pas une immixtion dans le pouvoir judicaire, car cela concerne les citoyens dans leur totalité, les jugements étant rendus au nom du peuple. Cependant, le fait est que le chef du mouvement Ennahdha et président du parlement se permette de préjuger de l'issue d'une affaire, alors qu'elle est encore pendante devant la justice, en déclarant que le mis en cause est innocent, est une grave ingérence de nature à entraver la bonne marche de la justice. C'est une faute inexcusable surtout qu'il l'a déclaré sur un ton de défi ou de mise en garde, en précisant que l'accusé qui n'est autre que Nabil Karoui, impliqué dans des affaires de blanchiment d'argent et de corruption « sortira la tête haute ». Déclaration qu'a déplorée Iyadh Elloumi, bien qu'il soit membre de Qalb Tounès et proche de son président impliqué dans cette affaire. Par ailleurs les parties prenantes du pouvoir judiciaire, sont liées par l'obligation de réserve, afin de ne pas tomber dans la même tare de l'immixtion et l'ingérence dans les affaires de la justice qu'ils reprochent à d'autres. Or, l'association des magistrats tunisiens (AMT), qui pour dénoncer l'ingérence de Ghannouchi suite à son commentaire pervers de l'affaire Karoui, a également appelé le juge d'instruction en charge de cette affaire à ne pas céder aux pressions et à lutter contre la corruption. Elle s'est dès lors compromise par cette déclaration constituant également une grave intrusion dans les affaires de la justice, enfreignant de la sorte l'obligation de réserve que tout magistrat est tenu d'observer. En fait nous assistons à un pouvoir judiciaire tronqué, voire paralysé, à cause des tiraillements politiques dans lesquels ont été impliqués certains magistrats appâtés par le pouvoir. C'est la raison pour laquelle on ne connaitra jamais les auteurs de ces crimes d'assassinats abominables tant que la vérité reste occultée par ceux qui détiennent le pouvoir et qui tirent les ficelles à leur guise. Le politique pourrait-il se servir du juge quand il en a besoin, ou au contraire, tel que déclare Carla Del Ponte, magistrate suisse, « c'est le juge qui se sert du politique quand il en a besoin » ? Tout dépend de l'attitude de l'un vis-à-vis de l'autre. Leurs relations doivent être celles d'une coopération et non d'une domination de l'un sur l'autre et ce en vue d'une collaboration saine et sereine en vue de la recherche de la vérité. En effet, Comme l'a affirmé Emile Zola, la justice et la vérité sont souveraines, car elles seules assurent la grandeur d'une nation. A.N.