Depuis quelques années, les sociétés de service ont connu un essor spectatulaire dans le monde, notamment les centres d'appels mieux connus sous le nom de call centers. Le concept de télémarketing a été conçu dans les années 70 par les Américains mais avec le jalonnement de la mondialisation, il s'est répandu de plus en plus dans le monde. Cette tendance n'a pas échappé à la « sensibilité » des entreprises françaises dont certaines ont choisi de délocaliser dans les pays francophones émergents d'Afrique dont la Tunisie, le Maroc, Madagascar, l'Algérie et le Sénégal. Si Télé Performance fut la première à s'implanter en Tunisie en décembre 2000, on compte aujourd'hui pas moins de 170 centres d'appels et un nombre de salariés qui atteint les 14.000. Les activités des centres d'appels basés sur les appels téléphoniques en masse concernent le service après vente, l'assistance technique, le mailing téléphonique, les prises de rendez-vous,le soutien clientèle, le service de renseignement, les sondages, la prospection, la voyance, la télévente... Télé conseillers, téléacteurs, télévendeurs, téléopérateurs, hotliners sont essentiellement des jeunes étudiants, de nouveaux diplômés ou des saisonniers.
Travail saisonnier Pour essayer de comprendre les raisons qui poussent ces personnes à travailler dans ces établissements, on aboutit à un fait tout simple : la flexibilité des horaires et un salaire attractif. Les salaires oscillent entre 250 dinars pour le régime à temps partiel et 600 dinars pour le régime à temps plein et même plus si on prend en considération les primes d'assiduité et les primes de rendement. Les centres d'appels ont créé le tremplin en terme de jobs surtout pour les jeunes diplômés en quête d'un premier emploi vu le pourcentage élevé des sans-emplois dans cette catégorie. Pour certains, travailler dans un centre d'appel est sans doute intéressant dans le sens où c'est un métier relativement simple et assez bien rémunéré surtout pour un jeune fraîchement diplômé souligne Slim maîtrisard en droit « sachant que c'est extrêmement difficile de trouver un boulot stable, je n'ai pas trop attendu après avoir eu mon diplôme. J'ai postulé pour un poste d'un téléopérateur et j'ai été recruté. Comparé à mes amis qui sont stagiaires ou sans emploi, je m'estime très chanceux puisque j'ai un salaire décent pour le boulot que je fais sachant qu'il y a de vraies perspectives d'évolution malgré ce qu'on dit. »
C'est plutôt une obligation... Alors que pour d'autres, les centres d'appels sont un ultime recours, ce n'est pas un choix mais plutôt une obligation pour gagner sa vie ajoute Ferdaws, titulaire d'une maîtrise en finance. « J'ai chômé pendant deux ans avant de songer à travailler dans un call center, je savais dès le départ que ça n'allait pas être facile, je me disais que c'était provisoire juste pour trois ou quatre mois, ça fait un an et demi que je travaille dans un centre d'appels spécialisé dans les prises de rendez-vous pour une banque française. Chaque fin de mois je me dis que vais démissionner car je n'en peux plus, c'est un métier dégradant pour un diplômé ; c'est répétitif, je suis obligée de suivre un script à la lettre pendant 8h chaque jour, c'est hyper stressant, nos supérieurs nous harcèlent et nous obligent à atteindre parfois des objectifs surréalistes, c'est de l'esclavage moderne à l'état pur. On est traités comme des moins que rien, même nos supérieurs ne nous appellent pas par nos prénoms mais par notre numéro d'identifiant. »
Conditions déplorables : Bien que les centres d'appels aient généré des emplois et réduit considérablement le nombre de chômeurs en Tunisie en créant 14.000 emplois, certains employeurs profitent de cette situation pour imposer des conditions de travail à leurs salariés pour un maximum de profit comme si la délocalisation et le coût bas des salaires et les avantages fiscaux dont ils bénéficient en Tunisie ne leur suffisaient pas à accumuler les bénéfices. En effet, plusieurs télé-opérateurs se lamentent des conditions de travail au sein de ces établissements comme, par exemple, les horaires de travail décalés ou éclatés, certains travaillent parfois jusqu'à 56 heures par semaine. L'environnement du travail est, par ailleurs, peu sécurisé car les employés ne bénéficient pas de sécurité sociale sans parler de l'absence des congés payés dans certains centres. Certains employés se disent choqués ou encore dégoûtés par le risque de licenciement abusif qu'ils courent quotidiennement, le retard dans le paiement des salaires qui peut atteindre jusqu'à 3 ou 4 mois, la non-rémunération des heures supplémentaires sans oublier les pauses cafés déduites de la paie. Selon une étude de l'Institut de la Santé et de la Sécurité au Travail, les conditions de travail dans les centres d'appels provoquent assez souvent des états de stress continu menant parfois à la dépression.