Les arguments exposés par le gouverneur de la Banque Centrale ne se veulent pas alarmistes. Mais ils n'appellent pas à la béatitude non plus. L'économie tunisienne aura inévitablement à subir les « conséquences directes » - il parle d'impact direct et d'impact indirect – de cette crise planétaire. Nous ne serons pas en reste puisque le spectre de la récession plane sur les économies de marché après l'effondrement du système bancaire américain. L'économie tunisienne table sur un taux de croissance de 6% contre 5,1% l'année dernière : est-ce dans nos cordes ? Possible, si les équilibres budgétaires résistent aux soubresauts conjoncturels et possible, surtout, si l'allocation des ressources est exclusivement orientée vers le marché interne. Est-ce à dire que c'est le retour du protectionnisme et du dirigisme étatique ? A l'évidence c'est le cas. Car, si l'Etat fédéral américain récupère des banques privées et injecte 700 milliards de dollars sur le marché financier, cela n'est pas sans évoquer les plans de relance de Roosevelt après la crise du 29. Et ces plans de relance consacraient, en l'occurrence, les théories keynésiennes, la primauté du dirigisme étatique avec une rigoureuse réglementation des circuits économiques et financiers... jusqu'à la politique de la prohibition et la lutte impitoyable contre la fraude et les évasions fiscales. En quittant la FED, il y a deux ans, Greenspance réalisait que le rabaissement du taux directeur de la Réserve Fédérale n'avait pas quelque chose de rationnel. Derrière, il y avait le lobby de l'immobilier et des banques d'investissements enclines à accorder des crédits hypothécaires tous azimuts et à des taux variables... Les Tunisiens n'ont pas besoin d'être des érudits en finances et en économie pour imaginer l'effet boomerang de telles largesses. Et ce fut donc la catastrophe des « subprime » . Mais les Tunisiens, tous les Tunisiens ayant contracté des prêts hypothécaires se posent des questions : l'effet « subprime » induira-t-il l'onde de choc jusque chez nous ? Question d'autant plus légitime que les ménages sont très endettés et qu'il y a une forte spéculation immobilière qui se traduit par une offre excédant la demande et par un surplus d'argent bloqué dans la pierre ce qui alimente les tendances inflationnistes. Sur ce plan, la Banque Centrale a toujours été particulièrement parcimonieuse sur le chapitre du taux directeur. Et puis l'écart entre les banques dans les crédits hypothécaires au niveau des taux d'intérêt n'est pas énorme : un TMM +3 à la Banque de l'Habitat, moins dans les autres banques. Pas de risques majeurs donc, même s'il faut penser à corriger ces disparités dans les taux d'intérêt parce que les taux excessivement fluctuants s'apparentent à la plus agressive et la plus lancinante des déréglementations. Il est sûr que le fait que nous ne produisions pas de pétrole nous rend paradoxalement service : nous ne ressentons pas outre mesure la chute du dollar comme c'est le cas des Libyens et des Algériens. Et encore heureux que le dinar ne soit pas totalement convertible et qu'il n'est pas broyé par la mouvance internationale... Mais il ne faut pas croire qu'un malheur n'arrive qu'aux autres. Un mythe de la puissance s'effondre ; sa Bourse Wall Street connaît un cataclysme au moment où le Congrès vote les 700 milliards de dollars. Les monarchies pétrolières du Golfe ne cèdent pas tous leurs fonds souverains. Un homme, Georges Bush aura inauguré son règne par une guerre interminable et le clôture par un cataclysme mondial. Mais ce n'est pas fini. Comment résister, nous qui ne sommes ni riches, ni pauvres ? Des barrières protectionnistes, bien sûr. Car cela fait déjà deux ans que l'Etat se préparait à ce retour providentiel. Chutons, néanmoins, sur un scénario surréaliste : L'Amérique veut que le monde lui paie ses dettes. Les monarchies du Golfe, rechigneuses sur les investissements dans les pays émergeants, finiront bien par s'y exécuter. Mais que fera l'Europe ? N'est-ce pas son heure ? Laissera-t-elle l'axe Chine-Inde-Russie profiter (seul) de l'aubaine ?